Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/454

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La Linda sourit avec une expression indéfinissable. Don Tadeo, qui entendit cette parole, fronça les sourcils.

— Que l’Aigle me suive, reprit Antinahuel, afin que je le confie à la garde de mes guerriers, à moins qu’il ne préfère me donner sa parole, comme déjà il l’a fait.

— Non, répondit laconiquement don Tadeo.

Les deux hommes sortirent du toldo.

Antinahuel recommanda à ses guerriers de veiller sur le prisonnier, et s’assit devant un des feux.

Nous avons déjà eu occasion de faire remarquer que les Araucans sont excessivement superstitieux : ainsi que tous les autres Indiens, ils professent pour la science des blancs une profonde admiration, et croient avec la plus grande facilité aux prodiges que ceux-ci leur promettent d’accomplir ; c’est ce qui explique la facilité avec laquelle Antinahuel avait consenti au délai de trois jours demandé par la Linda.

D’un autre côté, les Indiens, bien qu’ils aient un goût fort décidé pour les femmes espagnoles, ne sont pas naturellement voluptueux ; habitués à traiter les femmes comme des créatures d’une espèce inférieure à la leur, ils les considèrent comme des esclaves, et dans leur incommensurable orgueil, ils les supposent trop heureuses d’attendre leur bon plaisir.

Antinahuel, quoiqu’il aimât doña Rosario, et peut-être à cause de cet amour même, n’était pas fâché de la voir répondre à sa tendresse, cela flattait son orgueil et le relevait à ses propres yeux.

Une autre raison avait encore milité en faveur de la jeune fille.

Cette raison était que le toqui était revenu au camp dans les meilleures dispositions, par la raison que son expédition avait eu des résultats favorables qu’il n’osait attendre.

En arrivant au camp des Chiliens, il avait trouvé le général Fuentès qui commandait les troupes à la place de don Gregorio Peralta, parti pour Santiago, où le peuple l’avait appelé à prendre provisoirement la présidence de la République, en l’absence de don Tadeo de Leon.

Le général Fuentès était un homme d’un caractère doux et bienveillant, il avait honorablement reçu le toqui, tous deux avaient longuement causé.

Leur entretien s’était résumé ainsi : tous les prisonniers aucas, moins les otages emmenés par don Gregorio, avaient été rendus par les Chiliens ; de son côté, Antinahuel s’était engagé à délivrer sous huit jours don Tadeo, qui, disait-il, était gardé fort loin dans les Cordillères.

Antinahuel avait une arrière-pensée ; cette arrière-pensée, la voici :

Du premier coup d’œil il avait deviné, à la facilité du général chilien, combien il était las de la guerre ; il avait alors cherché à gagner du temps, afin de réunir assez d’hommes pour tenter une malocca, d’autant plus facile que la plus grande partie de l’armée chilienne avait repris la direction de l’intérieur, et que le général Fuentès n’avait plus avec lui que deux mille hommes environ, cavaliers et fantassins compris.

Quant à rendre don Tadeo, Antinahuel n’y songeait pas le moins du monde. Seulement il ne voulait pas lui faire subir le supplice qu’il se réservait de lui