Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/487

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— Contre les visages pâles, dit-il avec un accent de haine mortelle, ces Chiaplos et ces Culme-Huincas qui prétendent nous asservir.

Trangoil Lanec se redressa, et, regardant son interlocuteur en face :

— Très bien, dit-il, mon frère est un puissant chef, qu’il me donne le quipos.

Antinahuel le lui remit.

Le guerrier puelche reçut le quipos, le considéra un instant, puis, saisissant la frange rouge et la frange bleue, il les réunit, fit un nœud sur elles, ensuite il passa le morceau de bois à Curumilla qui imita son exemple.

À cette action, Antinahuel demeura calme et froid.

— Ainsi, dit-il, mes frères refusent leur concours aux chefs ?

— Les chefs des quatre nations peuvent se passer de nous, et mon frère le sait bien, dit Trangoil Lanec, puisque la guerre est terminée et que ce quipos est faux.

Le toqui fit un mouvement de colère qu’il réprima aussitôt.

Trangoil Lanec continua d’une voix ironique :

— Pourquoi, en venant ici, au lieu de nous présenter ce quipos, Antinahuel ne nous a-t-il pas dit franchement qu’il venait chercher auprès de nous ses prisonniers blancs qui se sont échappés ? Nous lui aurions répondu que ces prisonniers sont sous notre protection désormais, que nous ne les lui rendrons pas, et qu’il ne parviendra jamais, par ses paroles fourchues, à nous décider à les lui livrer.

— Très bien, fit Antinahuel, les lèvres serrées, telle est la résolution de mes frères ?

— Oui, et que mon frère sache bien que nous ne sommes pas hommes à nous laisser tromper.

Le toqui se leva la rage au cœur, mais le visage impassible.

— Vous êtes des chiens et des vieilles femmes, dit-il ; demain je viendrai avec mes mosotones prendre mes prisonniers et donner en pâture vos cadavres aux urubus.

Les deux Indiens sourirent avec mépris, et ils s’inclinèrent gravement pour saluer le départ de leur ennemi.

Le toqui dédaigna de répondre à cette courtoisie ironique ; il tourna le dos et rentra dans le bois du même pas lent et solennel dont il était arrivé, semblant mettre ses adversaires au défi de s’attaquer à lui.

À peine eut-il quitté le camp que Trangoil Lanec se lança sur ses traces.

Le guerrier indien ne s’était pas trompé ; à son réveil, furieux de voir ses prisonniers échappés, Antinahuel avait soupçonné Trangoil Lanec d’avoir protégé leur évasion. Malgré les précautions prises par l’Ulmen, le toqui avait découvert sa piste, et son seul but, en se présentant au camp, avait été de connaître le nombre des ennemis qu’il aurait à combattre, et s’il lui serait possible de rentrer en possession de ceux qui avaient cru se soustraire à sa vengeance. Il savait qu’il ne courait aucun risque en se présentant comme il l’avait fait.

L’absence du chef fut de courte durée.

Au bout d’une heure à peine, il était de retour.