Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cela fait, on alluma du feu et on attendit les événements.

César était allé se poster de lui-même sur la plate-forme, sentinelle vigilante qui ne devait pas laisser surprendre la garnison.

Plusieurs fois le Français, que l’inquiétude tenait éveillé, tandis que ses compagnons, succombant à la fatigue, se livraient au repos, était monté sur la plate-forme pour caresser son chien et s’assurer que tout était tranquille.

Mais rien ne troublait le sombre et mystérieux silence de la nuit ; seulement par intervalles on voyait se dessiner au loin, aux rayons argentés de la lune, les formes confuses de quelque animal qui venait paisiblement se désaltérer à la rivière, où l’on entendait les miaulements plaintifs et saccadés des loups rouges, auxquels se mêlaient les chants de la hulotte bleue et du mawkawis caché sous la feuillée.

La nuit tirait à sa fin, l’aube commençait à nuancer l’horizon de ses teintes nacrées, les étoiles s’éteignaient les unes après les autres dans les sombres profondeurs du ciel, et à l’extrême ligne bleue du llano, un reflet d’un rouge vif annonçait que le soleil n’allait pas tarder à paraître.

Il faut s’être trouvé seul et isolé dans le désert, pour comprendre ce que la nuit, cette grande créatrice des fantômes et des djinns, cache de terrible et de menaçant sous son épais manteau de brume, avec quelle joie et quelle reconnaissance ou salue le lever du soleil, ce roi de la création, ce puissant protecteur qui rend à l’homme le courage, en lui réchauffant le cœur engourdi et glacé par les lugubres insomnies des ténèbres.

— Je vais me reposer quelques instants, dit Valentin à Trangoil Lanec qui s’éveillait en jetant autour de lui un regard inquiet, la nuit est finie, je crois.

— Silence ! murmura l’Indien en lui serrant le bras avec force.

Les deux hommes prêtèrent l’oreille ; un gémissement étouffé traversa l’espace.

— C’est mon chien ! c’est César qui nous avertit ! s’écria le jeune homme, que se passe-t-il donc, mon Dieu ?

Il s’élança sur la plate-forme, où le chef l’eut bientôt rejoint.

En vain regardait-il de tous côtés, rien ne paraissait, la même tranquillité semblait régner autour d’eux.

Seulement les hautes herbes qui garnissaient les bords de la rivière s’inclinaient doucement comme poussées par la brise.

Valentin crut un instant que son chien s’était trompé ; déjà il se préparait à descendre lorsque tout à coup le chef le saisit par le milieu du corps et le contraignit à se coucher sur la plate-forme.

Plusieurs coups de feu retentirent, une dizaine de balles vinrent en sifflant s’aplatir sur le rocher, et plusieurs flèches passèrent par-dessus la plate-forme.

Une seconde de plus, Valentin était tué.

Puis éclata un hurlement épouvantable répété par les échos des deux rives.

C’était le cri de guerre des Aucas qui, au nombre de plus de quarante, apparurent sur le rivage.