Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/494

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Valentin et le chef déchargèrent leurs fusils presque au hasard au milieu de la foule.

Deux hommes tombèrent.

Les Indiens disparurent subitement dans les halliers et dans les hautes herbes.

Le silence, un instant troublé, se rétablit avec une telle promptitude que si les cadavres des Indiens tués n’étaient pas restés étendus sur le sable, cette scène aurait pu passer pour un rêve.

Le jeune homme profita de la minute de répit que l’ennemi lui donnait pour descendre dans la grotte.

Au bruit de la fusillade et des cris poussés par les Aucas, doña Rosario s’était éveillée en sursaut.

Voyant son père saisir son fusil pour monter sur la plate-forme, elle se jeta dans ses bras en le suppliant de ne pas la quitter.

— Mon père, lui dit-elle, je vous en prie, ne me laissez pas seule, ou bien permettez-moi de vous suivre, ici je deviendrai folle de terreur.

— Ma fille, répondit don Tadeo, votre mère reste près de vous, moi je dois rejoindre nos amis ; voudriez-vous que, dans une circonstance comme celle-ci, je les abandonnasse ? C’est ma cause qu’ils défendent, ma place est auprès d’eux !… Voyons, du courage, ma Rosarita chérie, le temps est précieux !

La jeune fille se laissa tomber sur le sol avec accablement.

— C’est vrai, dit-elle, pardonnez-moi, mon père, mais je ne suis qu’une femme et j’ai peur !

Sans prononcer une parole, la Linda avait tiré son poignard et s’était embusquée à l’entrée de la grotte.

En ce moment Valentin parut.

— Merci, don Tadeo, lui dit-il, vous ne nous êtes pas indispensable là-haut, tandis qu’ici, au contraire, vous pouvez nous être fort utile. Les Serpents Noirs tenteront sans doute de traverser la rivière et de s’introduire dans cette grotte dont ils connaissent certainement l’existence, pendant qu’une partie de leurs compagnons nous occupera par une fausse attaque ; restez donc ici, je vous prie, et surveillez leurs mouvements avec soin, de votre vigilance dépend le succès de notre défense.

Valentin avait raisonné juste. Les Indiens, reconnaissant l’inutilité d’une fusillade contre un bloc de granit sur lequel s’aplatissaient leurs balles sans causer le moindre mal à leurs adversaires, avaient changé de tactique. Ils s’étaient séparés en deux bandes, dont l’une tiraillait pour attirer l’attention de la garnison du rocher, tandis que l’autre, dirigée par Antinahuel, avait remonté pendant une centaine de pas le cours de la rivière. Arrivés à une certaine distance, les Indiens avaient construit à la hâte plusieurs radeaux sur lesquels ils se laissaient emporter au courant qui les conduisait tout droit sur le rocher.

Valentin et son compagnon, sachant qu’ils n’avaient rien à craindre de ceux qui, du rivage, tiraient sur eux, redescendirent dans la grotte où devait se concentrer toute la défense.

Le premier soin du jeune homme fut de placer doña Rosario à l’abri des