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richesse d’un pays consiste non pas dans le nombre de ses mines, mais dans les encouragements donnés à la culture.

Et pourtant ce pays possède de riches mine d’or, d’argent et de pierres précieuses qu’il exploite, mais dont il ne place les produits qu’en seconde ligne, réservant toute sa sollicitude pour l’agriculture.

Le Chili est bien jeune encore comme nation. Chez lui l’industrie, les arts, sont dans l’enfance ; mais les fermes sont nombreuses, les campagnes bien cultivées, et bientôt ce pays est appelé, nous n’en doutons pas, grâce à ce système de travail, à devenir l’entrepôt des autres puissances américaines, qu’il approvisionne déjà en grande partie de vin et de blé, depuis le cap Horn jusqu’à la Californie.

Derrière la chacra s’étendait une huerta, — jardin, — bien entretenue, où les orangers, les grenadiers, les citronniers, plantés en pleine terre, s’élevaient auprès des tilleuls, des pommiers, des pruniers et de tous les arbres de notre Europe.

Louis fut agréablement surpris à l’aspect de ce jardin aux allées ombreuses, où mille oiseaux, aux brillantes couleurs, babillaient gaiement sous le feuillage des bosquets touffus de jasmin et de chèvrefeuille.

Pendant que Valentin allait, suivi de César, se mêler aux péons et fumer son cigare dans le patio, Louis se sentit poussé par son esprit rêveur, aux élans poétiques, à chercher quelques instants de solitude dans cet Éden qui s’offrait à lui ; entraîné par une force inconnue, enivré par les suaves odeurs qui embaumaient l’atmosphère, il se glissa dans le jardin en jetant autour de lui un regard vaguement interrogateur.

Le jeune homme s’en allait rêvant à travers les allées, effeuillant machinalement entre ses doigts une rose qu’il avait cueillie.

Il se promenait ainsi depuis plus d’une heure, quand un léger bruit se fit entendre dans le feuillage à quelques pas de lui.

Il leva instinctivement la tête, assez à temps pour apercevoir les derniers plis d’une légère robe de gaze blanche, qui disparaissait entre les arbres, trop tard pour distinguer complètement la personne qui la portait et qui semblait glisser rapide sur l’herbe trempée de rosée, comme un blanc fantôme.

À cette apparition mystérieuse, le jeune homme sentit son cœur bondir dans sa poitrine, il s’arrêta tremblant ; l’émotion qu’il éprouva fut si forte qu’il fut contraint de s’appuyer contre un arbre pour ne pas tomber.

— Que se passe-t-il donc en moi ? se demanda-t-il en essuyant son front inondé d’une sueur froide.

« Je suis fou ! poursuivit-il avec un sourire forcé. Partout je crois la voir ! mon Dieu ! je l’aime tant, que malgré moi mon imagination me la représente sans cesse ! cette jeune fille que je n’ai fait qu’entrevoir est probablement celle que cette nuit nous avons si miraculeusement délivrée. Pauvre enfant !… heureusement qu’elle ne m’a pas vu, je l’aurais effrayée… mieux vaut l’éviter et sortir du jardin… dans l’état où je suis je lui ferais peur !

Et comme cela arrive toujours en pareille circonstance, il s’élança au contraire sur les traces de celle qu’il avait à peine aperçue, mais que, par un