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de ces sentiments instinctifs de sympathie qui viennent de Dieu et que la science ne pourra jamais expliquer, il avait cependant aussitôt devinée.

La jeune fille, blottie au fond d’un bosquet comme un colibri dans son lit de mousse, le front pâle et les yeux baissés vers la terre, écoutait triste et pensive les joyeuses mélodies que les oiseaux chantaient à son oreille distraite.

Tout à coup un léger bruit la fit tressaillir et lever la tête.

Le comte était devant elle.

Elle poussa un cri étouffé et voulut fuir.

— Don Luis ! dit-elle.

Elle l’avait reconnu.

Le jeune homme tomba à deux genoux à l’entrée du bosquet.

— Oh ! s’écria-t-il d’une voix tremblante d’émotion avec l’accent de la plus ardente prière, par pitié, restez, madame.

— Don Luis ! reprit-elle déjà remise, et feignant la plus complète indifférence.

Les jeunes filles, même les plus pures, possèdent au plus haut degré le talent de renfermer en elles leurs sentiments, et de donner le change sur les émotions qu’elles éprouvent.

— Oui, c’est moi, madame, répondit-il avec l’accent de la passion la plus respectueuse, moi, qui pour vous revoir ai tout abandonné !

La jeune fille fit un mouvement.

— Par grâce ! reprit-il, laissez-moi encore un instant admirer vos traits adorés ; oh ! ajouta-t-il avec un regard chargé de caresses, mon cœur vous avait devinée avant que mes yeux vous eussent aperçue.

— Caballero, dit-elle d’une voix entrecoupée, je ne vous comprends pas.

— Oh ! ne craignez rien de moi, madame, interrompit-il avec véhémence, mon respect pour vous est aussi profond que…

— Mais, caballero, dit-elle vivement, relevez-vous donc, si l’on vous surprenait ainsi…

— Madame, répondit-il, l’aveu que j’ai à vous faire exige que je reste dans cette position de suppliant.

— Mais !…

— Je vous aime, madame, dit-il d’une voix entrecoupée ; cette parole qu’en France je n’ai pas osé murmurer à votre oreille, cette parole que de mon cœur je n’ai jamais pu laisser venir à mes lèvres, je ne sais ce qui me donne aujourd’hui l’audace de la prononcer ; dussiez-vous me bannir à jamais de votre présence, encore une fois je vous aime, madame, et si vous ne m’aimez pas je mourrai.

La jeune fille le regarda un instant d’un air mélancolique, une larme trembla sous ses longs cils, elle fit un pas vers lui, et lui tendant sa main sur laquelle il imprima ses lèvres :

— Relevez-vous, dit-elle doucement.

Le comte obéit.

La jeune fille se laissa tomber accablée sur le banc qui se trouvait derrière elle, et sembla se plonger dans une profonde et douloureuse méditation.

Il y eut un long silence.