Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/78

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dans quelque circonstance que je me trouve, tout quitter pour accomplir sur l’heure l’ordre qui me sera donné, de quelque façon que ce soit, et quelle que soit la teneur de cet ordre.

— Tu souscris à ces conditions ?

— J’y souscris.

— Tu es prêt à jurer de t’y soumettre ?

— Je suis prêt.

— Répète donc après moi, la main sur l’Évangile, les paroles que je vais te dicter.

— Dictez.

Les trois hommes assis derrière la table se levèrent, une Bible fut apportée, le général posa résolument la main sur le livre.

Un frémissement parcourut les rangs de l’assemblée.

Le président frappa sur la table avec le pommeau de son poignard, le silence se rétablit.

Alors cet homme prononça d’une voix lente et profondément accentuée les paroles suivantes, que le général répéta après sans hésiter :

— Je jure de sacrifier, moi, ma famille, mes biens et tout ce que je puis espérer en ce monde, pour le salut de la cause que défendent les Cœurs sombres ; je jure de frapper tout homme, serait-ce mon père, serait-ce mon frère qui me serait désigné ; si je manque à ma foi, si je trahis ceux qui m’acceptent pour frère, je me reconnais digne de mort, et je pardonne d’avance aux Cœurs sombres de me la donner.

— Bien ! reprit le président, lorsque le général eut prononcé le serment, vous êtes notre frère.

Alors il se leva, fit quelques pas dans la salle et s’arrêta en face du général.

— Maintenant, dit-il d’une voix sombre et menaçante, répondez, don Pancho Bustamente, vous qui de gaieté de cœur prêtez un faux serment devant cent personnes, croyez-vous que nous commettrons un crime en vous jugeant, puisque vous avez eu l’audace de vous remettre vous-même entre nos mains ?

Malgré toute son assurance, le général ne put retenir un geste d’effroi.

— Enlevez à cet homme le masque qui couvre son visage, afin que tout le monde sache bien que c’est lui ! Ah ! général, vous êtes entré dans l’antre du lion, il vous dévorera.

Une rumeur lointaine se fit entendre.

— Vos soldats viennent à votre secours, reprit le président, ils arriveront trop tard, général, préparez-vous, vous allez mourir !

Cette parole tomba comme un coup de massue sur le front de celui qui se voyait ainsi déjoué ; cependant il ne perdit pas encore courage, le bruit se rapprochait sensiblement, il était évident que ses troupes qui cernaient la Quinta Verde de toutes parts, ne tarderaient pas à s’en emparer, il fallait à tout prix gagner du temps.

— De quel droit, dit-il fièrement, vous posez-vous en juges et en exécuteurs de vos propres arrêts ?