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hacienda qu’il possédait à quelques lieues de l’endroit où il se trouvait en ce moment, et dans laquelle il comptait passer la nuit.

Le pays n’était pas tranquille.

Depuis plusieurs jours, les Puelches avaient paru en armes sur les frontières du Chili et fait des courses sur le territoire de la République, brûlant les chacras, enlevant les familles qu’ils pouvaient surprendre, commandés par un chef nommé le Chacal Noir, dont la cruauté glaçait d’effroi les populations exposées à ses déprédations.

Aussi était-ce avec une inquiétude et une appréhension secrètes, que l’homme dont nous avons parlé s’avançait sur la route déserte qui conduisait à son hacienda.

Chaque minute ne faisait qu’ajouter à ses craintes.

L’orage, qui toute la journée avait menacé, venait d’éclater enfin avec une fureur inconnue dans nos climats ; le vent sifflait avec force à travers les arbres qu’il ébranlait, la pluie tombait à torrents, des éclairs éblouissaient le cheval qui se cachait et refusait d’avancer.

Le cavalier éperonnait sa mouture rétive et cherchait à s’orienter autant que le lui permettaient les ténèbres.

Avec des difficultés inouïes, il avait vaincu les plus grands obstacles ; déjà il voyait à quelque distance se dessiner dans l’ombre les murs de son hacienda, et scintiller comme des étoiles les lumières qui veillaient en l’attendant, lorsque son cheval fit un bond de côté si imprévu qu’il faillit être désarçonné.

Quand, après des efforts incroyables, il fut parvenu à se rendre maître de sa monture, il chercha ce qui pouvait l’avoir effrayée.

Il aperçut avec effroi plusieurs hommes au visage sinistre qui se tenaient immobiles devant lui.

Le premier mouvement du cavalier fut de porter la main à ses pistolets, afin de vendre chèrement sa vie, car il comprenait qu’il était tombé dans une embuscade de bandits.

— Ne touchez pus à vos armes, don Antonio Quintana, dit une voix rude, on n’en veut ni à votre vie, ni à votre argent.

— Que demandez-vous, alors ? répondit-il, un peu rassuré par cette déclaration franche, mais continuant à se tenir sur la défensive.

— L’hospitalité pour cette nuit, d’abord, reprit celui qui avait déjà parlé.

Don Antonio chercha à reconnaître l’homme qui lui parlait, mais il ne put distinguer ses traits, les ténèbres étaient trop épaisses.

— Les portes de ma demeure se sont toujours ouvertes devant un étranger, dit-il, pourquoi n’y avez-vous pas frappé ?

— Sachant que vous deviez passer par ici, j’ai préféré vous attendre.

— Que désirez-vous donc de moi ?

— Je vous le dirai chez vous, la grande route est un lieu mal choisi pour se faire des confidences.

— Si vous n’avez plus rien à me dire et que vous soyez aussi pressé que moi de vous mettre à l’abri, nous continuerons notre route.

— Marchez, nous vous suivons.

Sans échanger d’autres paroles ils se dirigèrent vers L’hacienda.