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Le Forestier

— Une main se posa moelleusement sur son épaule et une voix faible comme un souffle dit à son oreille

— Qu’en feriez-vous ?

— Ce que j’en ferais, vive Dieu ! J’éventrerais deux ou trois de ces drôles qui me tiennent comme un oison au perchoir, et je me tuerais après.

— Vous tuer ! reprit la voix avec un accent d’indicible tristesse vous êtes donc seul sur terre ? vous n’aimez personne, sans doute, et, ajouta-t-elle avec une certaine hésitation, personne ne vous aime ?

— J’aime et je sais aimé, répondit-il nettement.

— Qu’en savez-vous ? reprit la voix avec hauteur.

— Mon cœur me l’a dit, et le cœur ne trompe pas.

— Et celle que vous aimez ? reprit câlinement la voix.

— Je ne lui ai jamais parlé ; il y a deux heures je ne la connaissais pas.

— Et elle vous aime ?

— J’en suis sur.

Un frémissement fébrile agita la main toujours posée sur l’épaule de l’aventurier.

— Qu’en savez-vous t

— Nos cœurs se sont fondus dans un regard.

— Écoutez, reprit précipitamment la douce voix, le temps presse, ne le perdons pas en paroles ; prenez cette bague ; lorsqu’on vous présentera ce signe, quel que soit l’individu qui vous le montre, n’hésitez pas, accourez.

Je le ferai, certes, à moins de tomber mort sur la place, répondit-il en pliant le doigt, de peur que la bague ne lui échappât.

— Pourquoi parler de mort ? reprit la voix avec un accent de tendresse ineffable ; parlez de bonheur, au contraire, puisque vous êtes aimé… dites-vous.

— Oh ! s’écria-t-il, c’est vous, Flor, ma Flor bien-aimée ! Oh oui ! oui, je vous aime

— Silence, malheureux ! s’écria-t-elle avec terreur ; si l’on vous entendait, vous seriez perdu.

— Et que m’importe, maintenant que je suis certain de ton amour

La petite et mignonne main se posa précipitamment sur ses lèvres ! l’aventurier la couvrit de baisers passionnés.

— Chut ! murmura la voix à son oreille, et cela de si prés, qu’il sentit, avec un ravissement extrême, le contact des deux lèvres fraiches sur son visage.