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Le Forestier


VI

De quelle manière le capitaine Laurent, alias don Fernan, pénétra pour la première fois dans la casa Florida


Lorsque l’hacienda eut disparu derrière l’entassement des collines, les voyageurs retinrent leurs chevaux et leur firent prendre une allure plus modeste.

La contrée que traversaient les aventuriers en ce moment est peut-être une des plus pittoresques et des plus accidentées de l’Amérique ; je ne crois pas trop m’avancer en affirmant qu’elle ne ressemble à aucune autre.

Tout ce que la nature possède de saisissant, de grandiose et d’étrange se présente aux regards étonnés dans sa plus complète majesté et sa plus sublime horreur.

À droite et à gauche, a des distances que l’œil ne peut exactement calculer, les cimes chenues et orageuses de la chaine des Cordillères, cette épine dorsale du Nouveau-Monde, dont les têtes couvertes de neiges éternelles s’élèvent à des hauteurs prodigieuses, enveloppées de nuages qui leur forment une radieuse auréole ; leurs forêts immenses et mystérieuses penchées sur les lagunes sombres dont les eaux verdâtres les reflètent ; ces lagunes et ces lacs sauvages, abandonnés comme aux premiers jours de la création, dont les échos n’ont jamais été recueillis par les sons de la voix humaine et les flots sillonnés par des pirogues ou troublés par les filets des pêcheurs ; puis après ces montagnes géantes qui, d’échelons en échelons, de gradins en gradins, de collines en collines, viennent presque se niveler et se confondre avec le sol de chaque côté de l’isthme, commencent les plaines sans fin, les savanes arides, les déserts affreux, insondables mers de verdure avec leurs vagues et leurs tempêtes.

Pendant bien des milles on voyage sous les dômes immenses d’arbres géants que le soleil de midi ne perce qu’avec peine et comme à regret ; puis tout à coup, la forêt s’éclaircit, la prairie commence, noire, pelée, bosselée, où