Page:Aimard - Le forestier.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
146
Le Forestier

fouine et rasée, éclairée par deux petits yeux gris toujours en mouvement il était entièrement vêtu de velours noir, et sa tête était couverte d’un de ces chapeaux à forme ridicule qui, après la représentation de Figaro, un siècle plus tard, furent nommés chapeaux à la Basile.

— Señores, dit ce lugubre personnage, j’ai reçu votre message depuis une demi-heure à peine, et j’accours au rendez-vous que vous m’avez fait l’honneur de m’assigner. Il s’agit sans doute d’une affaire importante ?

— Très importante, señor corregidor, dit le capitaine.

— Asseyez-vous donc, señor don Cristoval Bribon y Mosquito, asseyezvous, je vous prie, nous avons à causer sérieusement, dit don Jesus d’un air aimable.

— Je suis tout à vos ordres, mes chers seigneurs, répondit en prenant un siège le señor corregidor, don Cristovat Bribon y Mosquito, sans doute bien nommé, si le moral, ainsi que cela était probable, ressemblait au physique.

— Qu’avons-nous de nouveau ici, señor don Cristoval ? reprit don Jesus.

— Pas grand’chose, señor.

— De bon ?

— Rien.

— De mauvais ?

— Beaucoup.

— Diable, cela se gâte alors, fit le capitaine.

— Le corregidor se signa dévotement.

— Ne parlez pas du maudit, mon cher capitaine, je vous en prie, dit-il d’un ton doucereux, cela porte malheur.

— Au diable les singeries ! reprit le bouillant capitaine, cela m’exaspère lorsque je vois un vieux coquin comme vous marmotter toujours des patenôtres.

— Les affaires sont tes affaires, capitaine, répondit le corregidor avec un ton de dignité blessée ; elles ne sauraient m’empêcher de faire mon salut.

— Bah votre salut, laissez-nous donc tranquilles avec vos niaiseries et venez au fait ; vive Cristo ! nous ne sommes pas ici pour perdre notre temps en simagrées ridicules ; vous valez moins que nous encore.

— Le Seigneur m’en préserve ! s’écria-t-il en se signant deux ou trois fois, et, changeant de ton subitement, la contrebande n’est pas un crime, après tout.

— Non, mais le vol en est un, répliqua durement le capitaine, et des pins damnables même, vous devez en savoir quelque chose, vous qui êtes corregidor, fit-il en ricanant.