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Le Forestier, par Gustave Aimard

— Ne vous effrayez pas pour si peu, don Cristoval, après-demain même, aussitôt mon arrivée en ville, je vous reprendrai ces marchandises ; vous les chargerez sur une mate, et, lorsque je passerai devant votre maison, cette mule sera mêlée aux miennes ; nul n’y verra goutte.

— À la bonne heure ainsi je ne demande pas mieux que de vous servir.

— Oui, a la condition de faire de gros bénéfices et de ne pas avoir de risques à courir, fit le capitaine avec mépris.

— Dame ! reprit candidement le corregidor, je suis un magistrat, moi ; ma position me met fort en vue ; je dois, avant tout, ménager l’opinion et conserver l’estime du public ; ne suis-je pas le premier magistrat de la ville ?

— Oui, oui, grommela le capitaine avec un rire railleur, et, cuerpu de Cristo ! voilà une ville heureuse ! Car si ta justice n’y est pas toujours bien rendue, au moins l’est-elle lestement, ce qui est une compensation témoin ces pauvres diables d’Indiens que vous avez fait pendre si rondement.

Le corregidor se leva blême d’indignation.

Mais don Jesus s’interposa une fois encore.

— Allons ! allons ! s’écria-t-il, la paix, señores ! Voici le moment d’agir, hâtons-nous de faire disparaître tout cela.

— Don Cristovai mordit ses lèvres minces, lança un regard de vipère au marin qui haussa les épaules d’un air de mépris et se tut.

Les trois hommes se chargeront des paquets de perles placés sur la table et sortirent du cabinet

On les entendit pendant quelque temps aller et venir dans les appartements, puis, finalement, au bout d’un quart d’heure au plus, ils quittèrent la maison.

Il faisait nuit noire.

— Eh bien ? demanda le guide au jeune homme tout en allumant une bougie, qu’en pensez-vous ?

— Pardieu ! je pense que ce sont de fieffés coquins et que ce corregidor, avec sa mine béate et ses manières doucereuses, est le plus hideux des trois.

— Le capitaine me plait, à moi, dit Michel.

— J’ai appris d’ailleurs plusieurs choses qui ont pour nous une grande importance, reprit Laurent l’arrivée de la caravelle, les projets du digne don Jesus sur moi, projets dont j’espère faire mon profit ; de plus, j’ai acquis la certitude que personne ne connait les mystères de cette maison.

— Maintenant que nous sommes les maitres ici, et que nous ne craignons plus les importuns, voulez-vous, capitaine, que je vous les fasse connaitre en détail, moi, ces secrets ?