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Le Forestier

— Tu as bien fait, matelot, s’écria joyeusement Montbarts ; et qu’a-t-il dit ?

— Lui ? il a trouvé cela fort naturel et n’a pas fait d’objections.

— Bien manœuvré, mon gars tu es un gaillard qui ira loin.

— Si je ne suis pas pendu, ajouta Pitrians en riant, ma mère me l’a prédit quand j’étais tout jeune ; merci, Montbarts.

Les aventuriers se mirent à rire de cette boutade de Pitrians, mais comme la salle commençait à se remplir de consommateurs de toutes sortes, ils jugèrent prudent de changer de conversation et de causer de choses indifférentes.

C’était l’heure où les habitants, les engagés, les ouvriers, les artisans, avant d’ouvrir leurs boutiques ou de se livrer à leurs travaux journaliers, venaient les uns à la file des autres boire leur coup du matin en causant de la colonie ou des cancans du voisinage ; mais tous, lorsqu’ils passaient devant la table occupée par les six aventuriers qu’ils connaissaient bien, se découvraient et les saluaient avec une nuance de respect et de bonhomie familière qui témoignait de la haute opinion qu’ils avaient de ces héros modestes, auxquels ils devaient pour la plupart l’aisance et le bien-être dont ils jouissaient.

Les aventuriers et M. d’Ogeron lui-même répondaient par quelques paroles amicales, des sourires et des poignées de main, à toutes ces salutations.

Cependant maitre Kornick vint les avertir que le déjeuner les attendait, et il les conduisit dans une chambre du premier étage où, devant une porte-fenêtre ouverte sur un balcon donnant sur la mer, une table était abondamment servie de mets appétissants et complètement garnie de bouteilles de toutes dimensions.

— À table, messieurs ! dit gaiement M. d’Ogeron, c’est moi qui, avec votre permission, veux être aujourd’hui votre amphitryon ; j’espère que vous ferez honneur au modeste déjeuner que je vous offre.

— De grand cœur, et merci, monsieur, répondit Montbarts au nom de tous.

On prit place et le déjeuner commença avec cet entrain que mettent les hommes d’action à satisfaire leurs besoins physiques.

Les verres se choquaient et les bouteilles se vidaient avec une rapidité qui faisait plaisir à voir.

Seul Ourson Tête-de-Fer buvait de l’eau selon sa coutume, mais il n’en était pas moins gai pour cela, et il partageait fraternellement avec ses amis à quatre pattes, couchés modestement à ses pieds, les mets qu’il plaçait tour à tour sur son assiette.

Les aventuriers, aussi habitués à voir leur ami Ourson avec ses chiens et