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Le Forestier

— Nous vous écoutons, monsieur.

— Eh bien ! là, franchement, sur l’honneur, je ne vous connais pas plus que le premier jour ; à chaque instant vous me causez des surprises et des éblouissements qui me confondent ; vous êtes des êtres à part, des natures incompréhensibles ; si quelque jour il vous passait par la cervelle d’aller décrocher la lune, le diable m’emporte si je ne suis pas convaincu que vous réussiriez !

À cette singulière boutade, à laquelle ils étaient si loin de s’attendre, et que le gouverneur avait prononcée avec cette bonhomie qui était le côté saillant de cet esprit si fin et si observateur, les aventuriers furent pris d’un rire homérique.

— Riez, riez, messieurs : j’ai dit ce que j’ai dit, je n’en démordrai pas ; je vous crois capables de tout, dans le bien comme dans le mal ; je vous aime comme mes enfants ; je vous admire comme de grands et nobles cœurs que vous êtes et maintenant faites à votre guise, je ne m’en mêle plus, et je plains les Espagnols.

Les rires recommencèrent de plus belle et ils se prolongèrent pendant assez longtemps, enfin le calme se rétablit.

— Vous pouvez continuer, mon cher Montbarts, reprit te gouverneur, j’ai soulagé ma conscience, je suis tranquille.

— Voici donc ce que j’ai fait, monsieur, répondit en souriant le célèbre aventurier, d’abord j’ai fait réunir tous les navires en état de prendre la mer, grands, moyens et petits, leur nombre s’élève à soixante-cinq.

— C’est un beau chiffre.

N’est-ce pas ? Ces soixante-cinq navires, en établissant entre eux une moyenne de vingt canons, et je suis au-dessous de la vérité, représentent un effectif de…

— Treize cents bouches à feu, interrompit le gouverneur, ce qui est considérable.

— De plus, continua Montbarts toujours souriant, vous voudrez bien remarquer, monsieur, que je ne compte pas ici les sept bâtiments de notre confédéré Morgan, qui doivent en moyenne porter cent cinquante pièces de canon.

— Je commence à croire que, comme toujours, j’avais mal envisagé la question.

Attendez, reprit doucement Montbarts, nous sommes, vous le savez, à la meilleure époque de l’année, la plus favorable, enfin, pour la course ; aucune expédition n’a été tentée depuis six mois, donc tous les Frères de la Côte sont à terre.