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Le Forestier

— Raffiné, va ! dit en riant le Poletais.

— Je suis comme cela, je ne m’en cache pas.

— Mettez-nous un peu au courant, mon cher Montbarts, reprit le gouverneur, qu’avez-vous fait et que comptez-vous faire ?

— Je ne vous cacherai rien, monsieur, répondit le flibustier, car je serais heureux de recevoir vos avis et bons conseils, si, ce qui est probable, j’ai commis quelques erreurs.

— Quant à moi, dit galamment M. d’Ogeron, je ne l’admets pas, mon cher capitaine : mais c’est égal, allez toujours, nous vous écoutons.

— Vous avez dit fort bien, monsieur, que l’expédition que nous préparons aujourd’hui était la plus folle et la plus téméraire que nous ayons jamais tentée : celle de la Grenade, celle de Maracaïbo même n’étaient que des jeux d’enfant auprès d’elle.

— Diable ! fit le gouverneur.

— Vous voyez que je ne marchande pas mes expressions et que je vous fais ta partie belle.

— L’expédition de Maracaïbo est un beau fait d’armes.

— À la réussite duquel vous ne vouliez pas croire non plus, dit Montbarts avec une légère pointe de raillerie, et cependant…

— Vous avez été vainqueur, je le reconnais ; d’ailleurs, j’ai fait amende honorable de mon erreur.

— Après la victoire, monsieur ; il en sera de même cette fois.

— Je l’espère ; tenez, Montbarts, ne parlons plus de cela, je préfère m’avouer tout de suite vaincu, je renonce a lutter plus longtemps contre vous, vous êtes un trop rude jouteur pour moi.

— Bravo ! s’écrièrent en riant les boucaniers.

— Que voulez-vous, messieurs, reprit M. d’Ogeron avec bonhomie, j’ai une longue expérience des choses de ce monde ; je sais on crois savoir ce que contient d’énergie, de courage, d’entêtement et de patience le cœur d’un homme, doué de facultés même extraordinaires eh bien, avec vous, je veux que le ciel me confonde, si tous mes calculs ne sont pas en déroute : voilà douze ans que Sa Majesté Louis XIV, notre souverain bien-aimé que Dieu conserve, m’a nommé votre gouverneur, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur, et nous remercions bien sincèrement le roi du magnifique présent qu’il nous a fait en vous mettant à la tête de notre colonie.

— À la tête ! Hum ! enfin, soit ! et merci pour le compliment. Eh bien ! messieurs, voulez-vous que je vous fasse un aveu sincère et très humiliant pour ma perspicacité et mon expérience ?