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Le Forestier

étranges chez un pareil homme, il prodigua les soins les plus empressés et les plus délicats.

Après avoir déshabillé l’inconnu, il le fit frictionner par tout le corps avec de la laine imbibée d’aguardiente, et cela vigoureusement jusqu’à ce que l’épiderme fut devenue ronge ; puis il lui passa lui-même des vêtements chauds et bien secs, lui fit boire un cordial fortifiant et l’installa dans un fauteuil auprès du brasier ardent qui flambait dans la cheminée.

— Maintenant, ne bougez pas jusqu’à ce que je revienne, dit-il, chauffez-vous, et dans dix minutes vous serez un tout autre homme, je vous le prédis.

— Je me sens très bien, je vous jure.

— Vous serez encore mieux tout à l’heure, et j’espère que vous ferez honneur au souper.

— Au souper ? reprit-il en souriant.

— Pardieu ! croyez-vous que nous ne souperons pas ? Je meurs de faim, moi, et vous ?

— Je ne sais, mon cher hôte.

— À quelle heure avez-vous fait votre dernier repas ?

— Vers huit heures ce matin, je crois ; mais je ne me sentais pas en appétit et j’ai à peine mangé une bouchée.

— C’est cela, le besoin vous a ôté vos forces ; ne le niez pas, vos bâillements répétés montrent clairement que votre estomac souffre ; vous mangerez, vous dis-je, et de bon appétit même.

— Je ferai ce que vous voudrez, mon cher hôte.

— À la bonne heure ! vous voilà raisonnable ; de vous impatientez pas, je serai bientôt de retour.

— N’êtes-vous pas chez vous ? présentez, je vous prie, mes excuses à ces dames pour l’inquiétude que, sans le savoir, je leur ai causée et pour le dérangement que je leur occasionne.

— Vous ferez votre commission vous-même, señor, vous verrez ces dames à souper.

Il fit signe aux serviteurs d’enlever le brancard, prit les vêtements de l’inconnu afin de les faire sécher dans la cuisine, et il sortit.

Demeuré seul, l’inconnu, après avoir jeté un regard circulaire sur la chambre où il se trouvait, laissa tomber sa tête sur sa poitrine, ses sourcils se froncèrent et il se plongea dans une profonde rêverie.

— De tous ceux qui m’accompagnaient, murmurait-il à part lui, pas un seul n’a eu la pensée de se mettre à ma recherche ils m’ont tous abandonné, lâchement abandonné, ces hommes que j’ai gorgés d’honneurs et de richesses.