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Le Forestier

Qui sait ? Peut-être voulaient-ils se défaire de moi ! Oh  ! si je le croyais ! Hélas ! je suis seul ! sent toujours ! Personne ne m’aime !… Sans cet homme que la Providence a envoyé à mon secours, mon cadavre serait maintenant étendu brisé au fond de quelque fondrière de cette forêt maudite ! Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! Mais cet homme ! ses manières sont étranges… Il ne ressemble en rien aux mannequins parfumés que j’ai connus jusqu’à présent. Et cependant, il y a en lui quelque chose de puissant et de noble que je ne puis comprendre. Quel est-il ? Je le saurai.

En ce moment un léger bruit lui fit lever la tête.

Une ravissante jeune fille se trouvait prés de lui.

L’inconnu voulut quitter son siège.

— Demeurez, caballero, s’écria-t-elle vivement d’une voix douce et harmonieuse, et pardonnez-moi de vous avoir troublé.

— Je songeais, señorita, dit-il avec un pâte sourire ; tout ce qui m’arrive depuis quelques heures est si extraordinaire !… Dieu, après m’avoir sauvé, m’envoie un de ses anges ; qu’il soit béni !

— Ce compliment est trop flatteur pour une pauvre fille comme moi, señor, répondit-elle en rougissant.

— Un compliment ? Oh ! non, señorita ; je vous dis ce que je pense, ne dois-je pas la vie à votre père ?

C’est un grand bonheur pour nous, señor mon père est si bon mais, je vous en prie, ne vous dérangez pas, je viens seulement préparer la table pour le souper.

— Faites, señorita ; seulement accordez-moi une grâce.

— Une grâce, señor ?

— Oui. Veuillez me dire votre nom.

— Je ma nomme Cristiana, et voici ma sœur Luz, ajouta-t-elle en désignant la jeune fille qui entrait les bras chargés de vaisselle.

— Cristiana, Luz ; merci, señorita, je m’en souviendrai, répondit-il avec un accent profond.

En ce moment, doña Maria Dolorès entra à son tour et s’informa avec intérêt de l’état dans lequel se trouvait l’étranger.

Celui-ci saisit cette occasion d’adresser de chaleureux remercîments à doña Maria et en même temps de lui faire toutes ses excuses pour le trouble qu’il apportait, contre sa volonté, dans sa paisible demeure.

En un instant la table fut prête et chargée de mets fumants de l’apparence la plus appétissante.