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Le Forestier, par Gustave Aimard


— Tout le monde se porte bien ici ? reprit-il ; il me semble qu’il y a un siècle que je ne suis venu ?

— Tout le monde se porte bien, oui, señor.

— Tant mieux ! j’avais hâte de vous revoir.

— Et moi aussi, señor reprit le forestier d’une voix sourde.

Force fut enfin à don Felipe de s’apercevoir de la froide réception qui lui était faite.

— Qu’avez-vous donc, mon ami ? demanda-t-il avec intérêt ; vous me semblez triste, préoccupé ; auriez-vous quelque chagrin que j’ignore ?

— Je suis triste, en effet, señor, excusez-moi donc, je vous prie don Felipe, je désire vous entretenir d’une affaire grave ; voulez-vous me faire l’honneur de m’accorder quelques minutes de conversation particulière ?

— Avec le plus grand plaisir, répondit gaiement don Felipe en tapotant à petits coups sur le portefeuille qu’il tenait sous son bras, car moi aussi j’ai à vous entretenir d’une affaire très importante.

— Pour moi ?

— Pour qui donc, si ce n’est pas pour vous ?

— Je ne comprends pas quelle affaire ?

— Peut-être, reprit finement don Felipe, mon affaire et la vôtre n’en font-elles qu’une seule.

— J’en doute, murmura le forestier, dont les sourcils se froncèrent.

— Causerons-nous ici ?

— Non, cette salle est commune ; tout le monde y vient, mieux vaut entrer chez moi.

— Comme il vous plaira, mon hôte.

Le forestier passa devant et monta l’escalier, suivi par don Felipe.

Celui-ci remarqua, non sans surprise, que, contrairement à ce qui se passait à chacune de ses visites, les dames ne s’étaient pas montrées.

Le forestier semblait être seul dans la chaumière.

En ce moment, No Santiago ouvrit la porte de la chambre, et s’effaça pour laisser passer don Felipe ; il entra avec lui, referma la porte avec soin, et mettant brusquement sur sa tête le chapeau que jusque-là il avait tenu à sa main, il se redressa, se retourna vers son hôte, et il lui dit avec hauteur :

— Maintenant que nous sommes seuls, expliquons-nous.

— Il paraît, mon cousin, dit en souriant don Felipe, qu’il te plaît enfin de te souvenir que tu es grand d’Espagne de première classe, caballero cubierto, et que tu as le droit de parler au roi le chapeau sur la tête ; j’en suis charmé et pour toi et pour moi.

(Liv. 7)