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Page:Aimard - Le forestier.djvu/43

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Le Forestier

— Qu’est-ce à dire ? s’écria le forestier avec stupeur.

— C’est-à-dire que je suis Philippe IV, roi d’Espagne et des Indes, et que tu es, toi, don Luis de Tormenar, comte de Tolosa et duc de Biscaye. Me trompé-je, mon cousin ?

— Sire, murmura don Luis en proie à une émotion extraordinaire.

— Écoute-moi, duc, reprit vivement le roi avec un charmant sourire : tu m’as sauvé la vie au péril de la tienne ; j’ai voulu te connaître ; tu t’es obstiné à demeurer impénétrable ; tu as refusé tous mes dons et repoussé toutes mes avances : cette obstination m’a piqué au jeu ; j’ai voulu savoir, et j’ai su. Duc de Biscaye, mon père, le roi Philippe III, trompé par de fausses apparences, écoutant trop facilement les calomnies de tes ennemis, a été dur et inexorable envers toi, j’ajouterais même qu’il a été injuste, s’il n’était pas mon père, et maintenant assis au ciel à la droite de Dieu. Il y avait une grande injustice à réparer ; je l’ai fait : ton procès a été revisé par la cour suprême ; le jugement qui te condamnait, cassé ; ton nom hautement rehabilité ; maintenant, mon cousin, tu es bien réellement don Luis de Tormenar, comte de Tolosa, marquis de San Sébastian, duc de Biscaye, ta fortune t’est rendue, ton honneur sauf, tes ennemis punis : es-tu content ?

Et il lui tendit la main.

Don Luis, éperdu, en proie à mille sentiments divers, plia le genou et voulut baiser cette main qui lui rendait si noblement tout ce qu’il avait perdu ; mais le roi ne le souffrit pas il le retint, l’attira doucement dans ses bras et le serra sur sa poitrine.

— Oh ! sire, s’écria le duc avec un sanglot, pourquoi faut-il…

— Silence ! mon cousin, reprit doucement le roi, je n’ai pas terminé encore.

— Mon Dieu ! dans quel but tout cela a-t-il été fait ? murmura le duc d’une voix sourde.

— Tu vas le savoir.

— J’écoute, sire.

— Je serai franc avec toi ; reçu comme un ami, presque comme un frère dans ta noble famille, je n’ai pu voir ta fille Cristiana sans l’aimer.

— Ah ! fit-il en pâlissant.

— Oui, don Luis ; ici ce n’est plus le roi, c’est l’ami qui parle ; je l’aime comme jamais je n’ai aimé encore sa candeur naïve, sa pureté virginale, tout m’a charmé ; alors…