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Le Forestier

Le panorama qui se fût déroulé sous les yeux de cet observateur ne manquait point d’un certain cachet de beauté grandiose et mélancolique, surtout à cette heure matinale où la nuit commençait à lutter avec le jour qui ne devait pas tarder à la vaincre.

D’abord, au pied même de la falaise, commençait une plage sablonneuse, le long de laquelle s’étendait sur un parcours assez considérable une levée de dunes couronnées par des bouquets d’arbres tropicaux, au feuillage bizarrement découpé, dont les troncs minces et élancés, ou noueux et bas, s’échappaient dans toutes les directions.

À gauche, une pointe de terre, couverte de taillis impénétrables, s’enfonçait comme un coin dans la mer, formant une anse elliptique au fond de laquelle des navires d’un tonnage même assez considérable auraient pu, au besoin, chercher un abri ou même se cacher au milieu des palétuviers.

De l’autre côté, c’est-à-dire à droite de la pointe, on distinguait les méandres, argentés par la lune, d’une rivière qui déchargeait ses eaux dans l’Océan, et sur les bords de laquelle étaient éparses quelques cabanes en roseaux, à demi ruinées, sans doute abandonnées depuis longtemps déjà par leurs habitants.

Une ligne d’opale commençait à franger les contours de l’horizon d’une teinte de bistre, les étoiles s’éteignaient les unes après les autres dans le ciel, lorsqu’un point noir apparut à quelque distance en mer, grossit rapidement et prit bientôt l’apparence d’un brick de deux cents tonneaux environ.

Ce navire s’approcha de la côte en louvoyant, puis, arrivé à portée de mousquet de la pointe, il mit en travers et demeura immobile.

Presque aussitôt une pirogue fut affalée, se détacha du bord et se dirigea à force de rames vers la plage.

À peine la pirogue se fut-elle éloignée, que le brick orienta ses voiles au plus prés, piqua dans le vent, et bientôt disparut derrière la pointe.

La pirogue, vigoureusement manœuvrée, ne tarda pas à s’engager dans les palétuviers, au milieu desquels, sans presque ralentir son allure, elle se fraya un passage jusqu’à deux ou trois toises du rivage ; alors elle s’arrêta auprès d’un tronc d’arbre tombé de vétusté, mais qui, maintenu au niveau de l’eau par ses congénères, formait un pont naturel pour atteindre la plage.

Les trois hommes qui composaient l’équipage de la pirogue se levèrent alors.

Deux d’entre eux sautèrent à la fois sur l’arbre, tandis que le troisième, demeuré seul à bord, rassembla plusieurs paquets assez volumineux qu’il fit passer ensuite à ses compagnons qui, au fur et à mesure, les mettaient en sûreté sur le sable sec de la rive.