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Le Forestier

La vallée à l’une des extrémités de laquelle s’élevait cette chaumière était peu étendue ; elle avait une lieue de tour à peine, et était coupée en deux parties presque égales par une rivière qui, torrent au sommet des montagnes, tombait de cascade en cascade dans la vallée, et arrivée là fuyait silencieusement sous les glaïeuls, avec ce murmure presque insaisissable de l’eau sur les cailloux qui a le privilège de tant charmer les esprits rêveurs.

Rien de plus poétique, de plus calme et de plus reposé que l’aspect de ce petit coin de terre perdu dans ces montagnes où meurent sans écho tous les bruits du monde ; Thébaïde charmante, où la vie s’écoule pure et tranquille loin des soucis des villes et des haines mesquines des envieux.

Le 18 mai 1628, un peu avant midi, un homme jeune encore, grand, bien découplé, à la physionomie douce et énergique à la fois, revêtu du costume des habitants de la campagne des environs de Tolède, portant un fusil sous le bras gauche et un chevreuil sur le cou, descendit presque en courant les pentes abruptes de la montagne, par un véritable sentier de chèvres ou de forestier ; il se dirigea tout droit vers la chaumière, suivi ou plutôt précédé par deux superbes chiens, au museau allongé, aux oreilles pendantes, tachetés de feu sur leur robe brune ; en approchant de la cabane ils prirent leur course, bondirent par-dessus la haie dont la porte était close et s’élancèrent dans l’intérieur de la chaumière, où ils disparurent en poussant des aboiements joyeux, auxquels répondit un énorme molosse sur un ton plus grave.

Presque aussitôt, comme si ces aboiements eussent été pour elles un signal, trois femmes sortirent de la chaumière, suivies des chiens, et s’avancèrent en toute hâte au-devant du chasseur.

De ces trois femmes, la première avait, de quelques années, dépassé la trentaine ; ses traits conservaient les traces d’une beauté qui, quelque dix ans auparavant, avait dû être remarquable, sa taille était droite, flexible, et possédait cette morbidezza gracieuse qui caractérise les Andalouses et les femmes de la Nouvelle-Castille.

Ses compagnes étaient deux jeunes filles, âgées, la première de quinze ans, la seconde de quatorze à peine ; toutes deux étaient blondes de cette teinte nacrée particulière à la race gothique et avaient les yeux et les sourcils noirs, ce qui donnait un cachet étrange à leur physionomie rieuse et expressive ; leurs traits, peut-être un peu trop réguliers, étaient d’une perfection rare ; leur éblouissante et fière beauté avait cette sauvagerie hautaine qu’on ne rencontre que dans les grandes solitudes, qui séduit et charme à la fois et est un attrait de plus pour la passion.

La femme se nommait Maria Dolores ; les deux jeunes filles, Cristiana et Luz.