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Le Forestier

— Allons-nous donc rester ici ? reprit Fernan.

— Jusqu’à demain, oui, la route est coupée, il nous faut nous en frayer une autre, la journée est trop avancée pour commencer ce travail. Campons où nous sommes.

— Pourquoi donc ? demanda Michel. Une halte en pleine campagne n’a rien de rassurant dans un pays comme celui-ci, où les montagnes dansent le menuet comme des matelots ivres.

— Il le faut, il nous est impossible d’atteindre ce soir l’endroit où nous devions camper.

— Bon ! fit Miguel, à défaut de celui-là, un autre.

— Nous sommes dans un désert.

— Mais non, pas tant que cela ; qu’est-ce donc que ces murs que j’aperçois là-bas ?

— Rien, fit le guide avec hésitation.

— Allons donc vous voulez vous gausser de moi.

— Je ne comprends pas.

— Comment dit Fernan, vous n’apercevez pas au sommet de cette colline, là un peu sur la droite, à dix minutes à peine de l’endroit où nous sommes, les murs blancs d’une grande habitation à demi cachée dans ce fourré d’arbres ?

— Pardieu ! appuya Michel, à moins d’être aveugle.

— Le guide eut un tressaillement nerveux, mais tout-à-coup il sembla prendre une détermination inflexible

— Señores, dit-il, je vois cette maison aussi bien que vous pouvez la voir. Je la connais depuis longtemps.

— Quelle est cette propriété ? demanda Fernan.

— C’est l’hacienda del Rayo.

— Le nom est éclatant, fit Miguel avec un sourire.

— Elle appartient à don Jesus Ordoñez de Silva y Castro, continua impassiblement le guide.

— Bon et quel homme est ce don Jesus Ordoñez, etc., reprit Fernan.

— C’est un des plus riches propriétaires de la province.

— Très bien ! mais ce n’est pas cela que je désire savoir ; quel homme est-ce ?

— Un Castillano Viego, farci de préjugés sur toutes les coutures, dévot, hypocrite, dissolu, traître comme un Juif et menteur comme un Portugais ; au demeurant, le meilleur fils du monde voilà l’homme.

— Hum ! fit Miguel, le portrait n’est pas flatté, et, s’il est ressemblant, il n’a rien de fort aimable.