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Le Forestier

poil rude et fauve, aux oreilles et à l’œil sanglants, était couché aux pieds de l’Indien.

En apercevant cet individu, José tressaillit, un éclair jaillit de son regard, et d’une voix basse qui fut cependant entendue par don Fernan :

— Cascabel ici ! Qu’y vient-il faire ? murmura-t-il.

Et il passa ; les deux voyageurs le suivirent.


III

Quel homme c’était en réalité que le señor don Jesus Ordoñez de Silva y Castro, propriétaire de l’hacienda dei Rayo.


José et l’Indien si bizarrement moucheté avaient, en se croisant, échangé, rapide comme l’éclair, un regard chargé de toute la haine que peut contenir un cœur humain ; peut-être y aurait-il eu entre eux une vive altercation, si l’haciendero apparaissant subitement dans la cour d’honneur ne se fut avancé précipitamment au-devant des hôtes qui lui arrivaient.

— Veille au grain, matelot, dit a voix basse Fernan à son compagnon, c’est maintenant qu’il nous faut jouer serré.

— Monsieur le comte peut être tranquille, répondit respectueusement le boucanier en s’inclinant sur le cou de son cheval, peut-être pour cacher un sourire narquois à l’adresse de l’Espagnol.

Cet haciendero, don Jesus Ordoñez, etc., ainsi que disait facétieusement l’aventurier, était un homme entre deux âges, ni grand ni petit, assez replet, aux traits réguliers, au teint brun, au regard perçant, à la moustache retroussée, aux lèvres railleuses et sensuelles et à la physionomie empreinte de cette bonhomie narquoise qui empêche le plus souvent l’observateur de se former une opinion exacte de l’homme auquel il a affaire ; du reste, empressé, cordial, charmant sous tous les rapports et comprenant les lois de l’hospitalité castillane dans toutes ses excentriques exigences, ce qui veut dire que les voyageurs furent non seulement bien reçus, mais accueillis avec toutes les apparences de la joie la plus vive.