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Le Forestier

— Soyez le bienvenu dans ma pauvre demeure, caballero, dit l’haciendero avec un salut cordial, vous connaissez notre proverbe castillan : l’hôte est l’envoyé de Dieu ; son arrivée dans une maison y porte la joie et le bonheur. Donc, je vous le répète, soyez le bienvenu dans ma chétive maison ; tout ce qu’elle renferme est à vous, et don Jesus Ordoñez de Silva y Castro, votre serviteur, tout le premier.

Ce discours fut prononcé tout d’une haleine et avec une volubitité qui ne permit pas à l’aventurier de l’interrompre.

— Mille grâces, caballero, répondit-il enfin en mettant pied à terre, et abandonnant la bride de son cheval à José, mille grâces, caballero, pour ce courtois accueil ; j’ai été, il y a une heure, surpris avec ce serviteur de confiance et ce guide indien par le terremoto, non loin d’ici ; me trouvant malgré moi dans l’impossibilité de continuer ma route, je me suis décidé à vous demander une hospitalité de quelques heures, ce dont je vous adresse toutes mes excuses.

— Des excuses se récria l’haciendero, vous plaisantez sans doute, caballero, c’est à moi seul qu’il appartient de vous en faire pour la mauvaise réception qui vous attend ici ; le terremoto nous a complètement bouleversés, c’est à peine si mes gens sont revenus de la terreur qu’ils ont éprouvée, tout est encore en désordre, mais nous ferons de notre mieux pour vous satisfaire.

Après cet échange de compliments, l’haciendero, précédé par son majordome, grand gaillard à mine patibulaire, vêtu de velours noir de la tête aux pieds, une lourde chaîne d’or au cou et une baguette d’ébène a la main, insignes de sa dignité, conduisit ses hôtes dans une vaste pièce où il les laissa, après s’être assuré par lui-même que rien ne manquait de ce qui leur était nécessaire.

— Dans une heure on sonnera la cloche du souper, dit-il, et il fit un mouvement pour se retirer.

— Pardon ! répondit le jeune homme en le retenant, permettez-moi, señor, de me faire connaître à vous.

— À quoi bon, caballero ? vous êtes mon hôte, cela me doit suffire.

— À vous peut-être, mais non à moi, señor, tout en vous remerciant de votre gracieuse obligeance, je ne veux pas en profiter je suis le comte Fernan Garci Lasso de Castel Moreno, arrivé depuis quelques jours à Chagrès et me rendant à Panama, ou m’appellent de hauts intérêts privés et politiques.

L’haciendero se découvrit respectueusement, salua jusqu’à terre, et d’une voix que l’émotion faisait trembler

— Le comte Garci Lasso de Castel Moreno, dit-il, le neveu de Son Altesse