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des ténèbres qui l’entouraient que s’il eût été éclairé par les éblouissants rayons du soleil.

Ils marchèrent assez longtemps ainsi à la suite l’un de l’autre sans échanger une parole ; de même que tous les Espagnols, Fray Arsenio professait un profond mépris pour les Indiens, ce n’était qu’à son corps défendant que parfois il entamait des rapports avec eux. De son côté, le Caraïbe ne se souciait nullement d’engager avec cet homme, qu’il considérait comme un ennemi né de sa race, une conversation qui n’aurait été qu’un bavardage sans importance.

Ils avaient atteint le sommet d’un petit monticule, du haut duquel on commençait à apercevoir briller dans le lointain, comme des points lumineux, les feux de bivouac des soldats campés autour du hatto, lorsque tout à coup, au lieu de redescendre le monticule et de continuer à s’avancer, O-mo-poua s’arrêta en jetant autour de lui des regards inquiets et en humant l’air avec force, tout en ordonnant d’un signe de la main à l’Espagnol de s’arrêter.

Celui-ci obéit et demeura immobile comme une statue équestre, observant, avec une curiosité mêlée d’un certain malaise, les gestes de son guide.

Le Caraïbe s’était étendu sur le sol et, l’oreille appuyée à terre, il écoutait.

Au bout de quelques instants, il se releva sans cependant cesser d’écouter.

— Que se passe-t-il donc ? demanda à voix basse le moine, que ce manège commençait à sérieusement inquiéter.

— Des cavaliers arrivent sur nous à toute bride.

— Des cavaliers à cette heure de nuit dans la savane ? reprit fray Arsenio d’un ton incrédule, c’est impossible !

— Vous y êtes bien, vous ! fit l’Indien avec un sourire moqueur.

— Hum ! c’est vrai, murmura le moine frappé de la logique de cette réponse ; qui peuvent-ils être ?

— Je ne sais, mais bientôt je vous le dirai, répliqua le Caraïbe.

Et, avant que le moine eût eu le temps de lui demander quel était son projet, O-mo-poua se glissa à travers les hautes herbes et disparut, laissant fray Arsenio tout déconcerté de cette fuite rapide et surtout fort empêché de se voir ainsi abandonné seul au milieu du désert.

Quelques minutes s’écoulèrent pendant lesquelles le moine essaya d’entendre, mais vainement, le bruit que l’acuité de perception dont était doué l’Indien lui avait fait saisir depuis longtemps déjà au milieu des rumeurs confuses de la savane.

Le moine, se croyant décidément abandonné par son guide, se préparait à continuer sa route, s’en remettant à la Providence du soin de le conduire à son port, lorsqu’un léger bruissement se fit dans les broussailles tout auprès de lui et l’Indien reparut.

— Je les ai vus, dit-il.

— Ah ! fit le moine, et quels sont ces hommes ?

— Des Blancs comme vous.

— Des Espagnols, alors ?

— Oui, des Espagnols.