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gentilhomme : nous sommes enfermés dans un cercle infranchissable, en apparence du moins.

— Alors nous sommes perdus.

— Comme vous y allez vous ! Au contraire, ce sont eux.

— Eux ? mais nous ne sommes que quatre contre cent.

— Vous vous trompez, deux cents hommes, à chacun de nous cinquante. Siffle les bellots, l’Olonnais, ils sont inutiles maintenant ; tenez, regardez, commencez-vous à les voir ?

Et il étendit le bras juste devant lui.

En effet, les longues lances des soldats espagnols apparaissaient au-dessus des hautes herbes ; le Poletais n’avait pas menti, ces lances formaient un cercle qui se rétrécissait de plus en plus autour du boucan.

— Hein ! est-ce assez joli ? ajouta le boucanier en caressant doucement la crosse de son long fusil ; señora, ajouta-t-il, tenez-vous près du blessé.

— Oh ! laissez-moi me livrer, s’écria-t-elle avec élan, c’est à cause de moi que ce danger terrible vous menace.

— Señora, répondit le boucanier en se frappant la poitrine avec un geste d’une majesté suprême, vous êtes sous la sauvegarde de mon honneur, et je jure Dieu que nul, moi vivant, n’osera vous toucher du bout du doigt ! Allez près du blessé.

Dominée malgré elle par le ton dont le boucanier avait prononcé ces paroles, doña Clara s’inclina sans répondre et fut toute pensive s’asseoir dans l’ajoupa au chevet de fray Arsenio, qui dormait toujours.

— Maintenant, caballeros, dit le Poletais à don Sancho, si vous n’avez jamais assisté à une expédition de boucaniers, je vous promets que vous allez voir une belle fête et que vous aurez de l’agrément.

— Ma foi, répondit insouciamment le jeune homme, bataille, puisqu’il le faut, c’est une belle mort pour un gentilhomme de tomber dans un combat.

— Allons ! fit le boucanier en lui frappant amicalement sur l’épaule, vous êtes un joli garçon, on fera quelque chose de vous.

Les cinquantaines approchaient toujours et le cercle se resserrait de plus en plus.


XXX

MONTBARS L’EXTERMINATEUR

Pendant quelques minutes, un silence funèbre, un calme complet mais chargé de menace, pesa lourdement sur la savane.

Au sifflet de l’engagé, les chiens étaient venus se ranger derrière leurs maîtres ; la tête basse, les lèvres retroussées, montrant leurs dents aiguës, les yeux ardents, ils attendaient l’ordre de s’élancer en avant, sans cependant donner le moindre éclat de voix, sans même gronder sourdement.