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L’Olonnais, appuyé sur son long fusil, fumait paisiblement sa pipe, en jetant autour de lui des regards railleurs.

Le Poletais s’occupait avec le plus beau sang-froid à remettre en ordre quelques ustensiles du boucan dérangés par suite des travaux auxquels il s’était livré pendant la matinée.

Le mayordomo, bien qu’il fût intérieurement assez peu rassuré sur la suite de ce combat en apparence si disproportionné, faisait, ainsi qu’on le dit vulgairement, contre fortune bon cœur, car il comprenait que s’il retombait aux mains de son maître, il n’avait aucune grâce à attendre de lui, après la façon dont il avait contrecarré ses projets, en favorisant la fuite de la comtesse.

Don Sancho de Peñaflor, malgré son insouciance naturelle et son caractère batailleur, n’était pas non plus sans inquiétude, car, officier de l’armée espagnole, sa place n’était pas dans les rangs des boucaniers, mais bien dans ceux des soldats qui se préparaient à les attaquer.

Doña Clara, agenouillée auprès du moine, les mains jointes, les regards levés vers le ciel, le visage baigné de larmes, implorait avec ferveur la protection du Tout-Puissant.

Quant à fray Arsenio, il dormait paisiblement.

Tel était l’aspect pittoresque et imposant à la fois dans sa simplicité qu’offrait en ce moment le camp des aventuriers, de ces quatre hommes qui se préparaient froidement et comme par partie de plaisir à lutter contre plus de deux cents hommes de troupes réglées, desquels, ils le savaient, ils n’avaient à la vérité aucun quartier à espérer, mais que leur folle résistance risquait d’exaspérer et de pousser à des mesures de violence cruelle.

Cependant le cercle se rétrécissait de plus en plus, et déjà les têtes des soldats commençaient à apparaître au-dessus des hautes herbes.

— Eh ! eh ! fit le Poletais en frottant ses mains calleuses l’une contre l’autre avec un air de jubilation, je crois qu’il est temps de commencer la danse ; qu’en dis-tu, mon gars ?

— Oui, voici le bon moment, répondit l’engagé en allant prendre un tison au feu.

— Surtout ne bougez pas de la place où vous êtes, recommanda le Poletais aux deux Espagnols, sacrebleu ! faites-y attention, il pourrait vous en cuire, et il accentua ce dernier mot avec une attention évidemment railleuse.

Les boucaniers, avant d’établir leur campement, avaient arraché l’herbe sur un espace de trente pas environ, tout autour de l’ajoupa ; cette herbe séchée et calcinée par l’ardeur du soleil, avait été relevée en bottes à l’extrémité du terrain déblayé.

L’engagé déposa son fusil, marcha droit à cette herbe, y mit le feu, puis il revint à petits pas rejoindre ses compagnons.

L’effet de cette manœuvre fut instantané, un jet de flammes jaillit subitement, s’étendit dans toutes les directions et bientôt une grande partie de la savane présenta l’aspect d’une vaste fournaise.

Les boucaniers riaient de bon cœur de ce qu’ils trouvaient une excellente plaisanterie.