— Pardieu ! je le sais bien ; d’ailleurs elle le méritait.
— N’est-ce pas qu’elle m’aime toujours ?
— Qui en doute ? pauvre chère créature !
— Tu es bon, Michel.
— Je suis juste.
Il y eut un autre silence.
Au bout de quelques minutes, le comte renoua l’entretien.
— As-tu retrouvé la lettre ? demanda-t-il.
— Oui, commandant.
— Où est-elle ?
— La voilà, dit-il en la lui présentant.
Le comte s’en empara vivement.
— Tu l’as lue ? dit-il.
— Pourquoi faire ? fit Michel, pardine ! ça doit être un tissu de mensonges et d’infamies ; je ne suis pas curieux de lire ces choses-là.
— Tiens, prend-la, dit-il en la lui présentant.
— Pour la déchirer ?
— Non, pour la lire.
— Bah ! À quoi bon ?
— Il faut que tu saches ce que contient cette lettre, je le veux.
— Ceci est autre chose, donnez.
Il prit la lettre, l’ouvrit, jeta les yeux dessus.
— Lis haut, fit le comte.
— Jolie besogne que vous me donnez là, commandant ! Enfin, puisque vous le voulez, je dois vous obéir.
— Je t’en prie, Michel.
— Suffit, commandant, m’y voilà.
Et il commença à lire à haute voix cette étrange missive.
Elle était courte, laconique, mais par cela même elle devait produire un effet d’autant plus terrible que chaque mot était calculé avec soin de façon à porter coup.
Voici quelle en était la teneur :
- « Monsieur le Comte,
« Vous n’avez pas épousé ma fille ; je vous ai abusé par un faux mariage. Jamais vous ne la reverrez… elle est morte pour vous. Il y a depuis longues années une haine implacable entre votre famille et la mienne. Je n’aurais pas été vous chercher : Dieu vous a jeté sur mon passage. J’ai compris qu’il voulait que je me vengeasse. Je lui ai obéi. Je crois avoir réussi à briser à jamais votre cœur. L’amour que vous avez pour ma fille est sincère et profond. Tant mieux, vous souffrirez plus cruellement. Adieu, Monsieur le Comte. Croyez-moi, ne cherchez pas à me revoir, cette fois ma vengeance serait plus terrible encore. Ma fille épouse dans un mois celui qu’elle aime et que seul elle a toujours aimé.