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Lorsque le matelot eut terminé cette lecture, il fixa sur son chef un regard interrogateur.

Celui-ci secoua la tête à plusieurs reprises sans répondre autrement.

Michel lui rendit la lettre que le capitaine cacha aussitôt sous son oreiller.

— Que ferez-vous ? lui demanda le matelot au bout d’un instant.

— Plus tard, répondit le comte d’une voix sombre, plus tard tu le sauras ; je ne pourrais, en ce moment, prendre une détermination, ma tête est faible encore, j’ai besoin de réfléchir.

Michel fit un geste d’assentiment.

En ce moment le docteur entra. Il parut ravi de voir son malade en si bon état et lui promit, en se frottant joyeusement les mains, que dans huit jours au plus il quitterait le lit.

Effectivement, le médecin ne s’était pas trompé : le comte se rétablissait rapidement ; enfin il put se lever, et, au bout de quelques jours, à part une pâleur cadavéreuse répandue sur son visage, pâleur que depuis lors il conserva toujours, ses forces paraissaient être complètement revenues.

M. de Barmont fit entrer sa frégate dans le Tage et alla mouiller devant Lisbonne. Aussitôt que le navire fut affourché, le commandant appela son second dans son appartement et eut avec lui un long entretien, à la suite duquel il se fit mettre à terre ainsi que Michel et Vent-en-Panne.

La frégate restait sous le commandement du premier lieutenant, le comte l’avait abandonnée pour toujours.

Cet acte constituait presque une désertion ; mais M. de Barmont était résolu, à tous risques, de retourner à Cadix.

Pendant les quelques jours qui s’étaient écoulés depuis son entretien avec Michel, ainsi qu’il l’avait promis à celui-ci, le comte avait réfléchi.

Le résultat de ses inflexions avaient été que, ainsi que lui, doña Clara avait été trompé par le duc, qu’elle se croyait bien mariée ; d’ailleurs, tout le lui prouvait dans la conduite tenue envers lui par la jeune fille. En voulant trop bien assurer sa vengeance, le duc avait dépassé le but ; doña Clara l’aimait, il en avait la certitude. Ce n’était que contrainte par la force qu’elle avait obéi à son père.

Ceci admis, une seule chose restait à faire au comte : retourner à Cadix, prendre des renseignements, rejoindre le duc et avoir avec lui, devant sa fille, une explication suprême.

Ce projet arrêté dans son esprit, le jeune homme le mit immédiatement à exécution, abandonnant à son second le commandement de son navire, au risque de briser sa carrière et d’être poursuivi comme traître, puisque la guerre était dans toute sa force entre la France et l’Espagne ; il fréta un caboteur et, suivi de ses deux matelots auxquels il avait loyalement expliqué ses intentions, mais qui ne voulurent pas l’abandonner, il retourna à Cadix.

Grâce à la connaissance approfondie qu’il possédait de la langue espagnole, le comte n’éveilla aucun soupçon dans cette ville, où il lui fut facile de prendre les renseignements qu’il désirait.

Le duc était effectivement parti pour Madrid.