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LES CHASSEURS D'ABEILLES

pas ; les pressentiments viennent de Dieu : il faut y ajouter foi. Surveille attentivement les démarches de cet homme pendant qu’il demeurera ici ; j’aurais voulu que tu ne l’amenasses pas sous notre toit.

— Que pouvais-je faire, ma mère ? L’hospitalité est un devoir auquel nul ne doit se soustraire.

— Je ne t’adresse pas de reproches, mon fils ; tu as agi comme ta conscience te poussait à le faire.

— Dieu veuille que vous vous abusiez, ma mère ! Dans tous les cas, quelles que soient les intentions de cet homme, s’il s’attaque à nous, ainsi que vous semblez le craindre, nous déjouerons ses machinations.

— Non, mon enfant, ce n’est pas pour nous positivement que je crains.

— Pour qui donc, alors, ma mère ? s’écria-t-il vivement.

— Est-ce que tu ne me comprends pas, Estevan ? dit-elle avec un sourire triste.

— Vive Dios ! ma mère, qu’il y prenne garde ! Mais non, ce n’est pas possible. Du reste, demain au lever du soleil je me rendrai à l’hacienda et je mettrai don Pedro et sa fille sur leurs gardes.

— Ne leur dis rien, Estevan, mais veille auprès d’eux comme un ami fidèle.

— Oui, vous avez raison, ma mère, cela vaut mieux, répondit le jeune homme devenu tout à coup pensif : j’entourerai Hermosa d’une protection occulte si vigilante qu’elle n’aura rien à redouter, je vous le jure, vive Dios ! Je préférerais mille fois mourir dans les plus atroces tortures que la savoir de nouveau exposée à des dangers semblables à ceux qu’elle a courus il y a quelques jours ; maintenant, ma mère, donnez-moi votre bénédiction et permettez-moi de me retirer.

— Va, mon enfant, que Dieu te protège ! dit la vieille dame.

Don Estevan s’inclina respectueusement devant sa mère et se retira, mais avant de se livrer au repos il fit dans la maison une visite minutieuse, et n’éteignit son candil qu’après s’être assuré que tout était dans un ordre parfait.

Cependant, aussitôt que don Estevan l’avait quitté, don Fernando s’était couché dans le hamac et avait presque immédiatement fermé les yeux. La nuit était calme et sereine, les étoiles plaquaient le ciel d’un nombre infini de diamants, la lune répandait à profusion ses rayons argentés sur le paysage ; par intervalle, les aboiements prolongés des chiens de garde se mêlaient aux hurlements saccadés des coyottes, dont on apercevait au loin les sinistres silhouettes, grâce à la transparence de l’atmosphère, qui permettait de distinguer les objets à une grande distance.

Tout dormait ou semblait dormir dans le rancho.

Soudain don Fernando souleva lentement et avec précaution sa tête au niveau du bord du hamac, et jeta un regard investigateur autour de lui.

Rassuré sans doute par le silence qui régnait dans la maison, il se laissa glisser sur la terre, et avec des précautions extrêmes, après avoir prêté l’oreille et sondé les ténèbres dans toutes les directions, il chargea sur sa