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LES CHASSEURS D’ABEILLES

et il venait prendre les ordres du Chat-Tigre, grand chef de la tribu, pour les cérémonies usitées en pareil cas.

Le Zopilote sortit du calli où il reparut bientôt suivi de ses femmes et de tous ses amis, dont l’un tenait l’enfant dans ses bras.

Le Chat-Tigre se plaça entre le Zopilote et l’amantzin en tête de la troupe, et il se dirigea vers le Rio-Grande del Norte.

Arrivé sur le bord du fleuve, le cortège s’arrêta, l’amantzin prit un peu d’eau dans sa main, la jeta en l’air en adressant une prière au Maître de la vie de l’homme, puis on procéda à la grande médecine, c’est-à-dire que le nouveau-né, enveloppé dans ses langes de laine, fut à cinq reprises plongé dans l’eau du fleuve, tandis que l’amantzin disait à voix haute :

— Maître de la vie, vois ce jeune guerrier d’un bon œil ; éloigne de lui les mauvaises influences ; protège-le, Wacondah !

Cette partie de la cérémonie terminée, le cortège rentra dans l’atepelt et vint se ranger en cercle devant le calli du Zopilote, à l’entrée duquel gisait une jument grasse renversée, attachée par les quatre pieds.

Un zarapé neuf fut étendu sur le ventre de l’animal, et les parents et les amis déposèrent l’un après l’autre les présents destinés à l’enfant : éperons, armes, vêtements.

Le Chat-Tigre, par amitié pour le Zopilote, avait consenti à servir de parrain au nouveau-né ; il le plaça au milieu des dons de toutes sortes qui remplissaient le zarapé.

Le Zopilote saisit alors son couteau à scalper, ouvrit d’un seul coup les flancs de la jument, lui arracha le cœur, et tout chaud encore, il le passa au Chat-Tigre, qui s’en servit pour faire une croix sur le front de l’enfant, en lui disant :

— Jeune guerrier de la tribu des Bisons-Apaches, sois brave et rusé ; tu te nommeras Mixcoatzin[1], le Serpent de Nuages.

Le père reprit son fils, et le chef, élevant le cœur sanglant, au-dessus de sa tête, dit à haute voix, à trois reprises différentes :

— Qu’il vive ! qu’il vive ! qu’il vive !

Cri répété avec enthousiasme par tous les assistants. L’amantzin recommanda alors le nouveau-né au génie du Mal, le priant de le rendre brave éloquent, rusé, et il termina l’énumération de ses vœux par ces mots qui trouvèrent de l’écho dans le cœur de tous ces hommes farouches :

— Surtout qu’il ne soit jamais esclave !

Là se termina la cérémonie, tous les rites religieux étaient accomplis ; la pauvre jument, victime innocente de cette superstition stupide, fut alors coupée par morceaux ; on alluma un grand feu et tous les parents et amis prirent place à un festin qui devait durer jusqu’à la disparition complète de la jument immolée.

Le Zopilote se préparait à s’asseoir, et à manger comme les convives, mais

  1. Ce mot vient de mixtli, nuage, et coati, serpent.