morriché, qui ne sert que dans les grandes occasions, puis il l’alluma au moyen d’une baguette médecine et, après avoir rendu la fumée par le nez et la bouche, il offrit le calumet à son voisin de droite ; celui-ci suivit son exemple et le calumet passa à la ronde de mains en mains jusqu’à ce qu’il revînt à l’amantzin.
Celui-ci secoua la cendre dans le feu en murmurant à voix basse quelques paroles que nul ne put entendre, puis il rendit le calumet au hachesto, qui se retira afin de veiller au dehors pour assurer le secret des délibérations du conseil.
Il y eut un assez long silence, le calme le plus complet régnait dans le village, nul bruit ne troublait la tranquillité de l’atepelt, on se serait cru à cent lieues de toute habitation humaine.
Enfin l’amantzin se leva, il croisa les bras sur sa poitrine et, promenant un regard clair sur l’assemblée :
— Que mes frères ouvrent leurs oreilles, dit-il d’une voix accentuée, l’esprit du Maître de la vie est entré dans mon corps, c’est lui qui dicte les paroles que souffle ma poitrine. Chefs des Bisons-Apaches, l’esprit de vos ancêtres a cessé d’animer vos âmes : vous n’êtes plus les guerriers terribles qui avaient déclaré aux Visages-Pâles, ces lâches et odieux spoliateurs de vos territoires de chasse, une guerre sans trêve ni merci, vous n’êtes plus que des antilopes timides qui fuient avec des pieds de gazelle au bruit lointain d’un eruhpa — fusil — des Visages-Pâles, vous n’êtes plus que des vieilles femmes bavardes, auxquels les Yorris — Espagnols — donneront des jupons ; votre sang ne coule plus clair dans vos veines et une peau s’est étendue sur votre cœur et l’a complètement enveloppé. Vous si braves et si terribles autrefois, vous vous êtes faits les lâches esclaves d’un chien des Visages-Pâles qui vous mène comme des lapins craintifs et vous tient tremblants sous son regard. Ainsi parle le Maître de la vie. Que lui répondrez-vous, guerriers apaches ?
Il se tut, attendant évidemment qu’un des chefs prit à son tour la parole.
Pendant ce discours outrageant, un frémissement d’indignation avait agité les Indiens, ce n’avait été qu’à grand’peine qu’ils étaient parvenus à maîtriser la violence de leurs sentiments, mais, aussitôt que l’amantzin eut cessé de parler, un chef se leva.
— Le devin des Apaches-Bisons est-il fou ? dit-il d’une voix tonnante, pour parler ainsi aux chefs de sa nation ? Qu’il compte les queues de loups rouges attachées à nos talons, il verra si nous sommes des vieilles femmes bavardes et si le courage de nos ancêtres est éteint dans nos cœurs. Qu’importe que le Chat-Tigre soit un Visage-Pâle, si son cœur est apache ? Le Chat-Tigre est sage, il a vu beaucoup d’hivers, toujours les conseils qu’il a donnés ont été bons.
L’amantzin sourit avec mépris.
— Mon frère l’Aigle-Blanc parle bien, ce n’est pas moi qui lui répondrai.
Il frappa dans ses mains à trois reprises. Un guerrier parut.
— Que mon frère, lui dit l’amantzin, rende compte au conseil de la mission dont l’avait chargé le Chat-Tigre.
Le Peau-Rouge fit quelques pas pour se rapprocher du cercle ; il s’inclina