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LES CHASSEURS D’ABEILLES

piste était claire ; ils n’avaient pas d’armes, rien n’était en apparence plus facile que de s’emparer d’eux. Une heure environ avant le moment convenu pour l’attaque, le Cœur-de-Pierre se présenta seul au camp des guerriers apaches ; le Faucon-Noir le reçut avec de grands témoignages d’amitié et le félicita d’avoir abandonné les Yorris, mais le Cœur-de-Pierre répondit que le Chat-Tigre ne voulait pas qu’on attaquât les Visages-Pâles ; il se précipita sur le Faucon-Noir dans le cœur duquel il plongea son couteau, tandis que les Yorris, qui s’étaient approchés sournoisement du camp, surprenaient les guerriers et les massacraient avec des eruhpas donnés par le Chat-Tigre lui-même, qui avait préparé cette trahison afin de se débarrasser d’un chef dont il redoutait l’influence. De vingt guerriers qui suivaient le sentier de la guerre, six seulement sont revenus avec moi à l’atepelt, les autres ont été impitoyablement égorgés par le Cœur-de-Pierre. J’ai dit.

Après cette foudroyante révélation il y eut un morne silence, causé par l’étonnement et la colère : c’était le calme qui recèle la tempête, les chefs échangeaient entre eux des regards courroucés.

Les Peaux-Rouges sont peut-être les hommes dont les sentiments changent le plus rapidement, et qui sous l’impression de la colère, sont les plus faciles à entraîner. L’amantzin le savait : aussi était-il sûr maintenant de son triomphe, après l’impression terrible causée par le récit du guerrier indien.

— Eh bien ! dit-il, que pensent maintenant mes frères des conseils du Chat-Tigre ? L’Aigle-Blanc trouve-t-il toujours qu’il a un cœur apache ? Qui vengera la mort du Faucon-Noir ?

Tous les chefs se levèrent simultanément en brandissant leurs couteaux à scalper.

— Le Chat-Tigre est un chien voleur et poltron ! s’écrièrent-ils ; les guerriers apaches attacheront sa chevelure à la bride de leurs chevaux !

Deux ou trois chefs seulement essayèrent de protester : ils savaient la haine invétérée que, depuis longtemps, l’amantzin portait au Chat-Tigre ; ils connaissaient le caractère fourbe du sorcier et soupçonnaient que, dans cette affaire, la vérité avait probablement été dénaturée et altérée afin de servir la vengeance de l’homme qui avait juré la perte d’un ennemi que, cependant, il n’avait jamais osé attaquer en face.

Mais la voix de ces chefs fut facilement étouffée sous les clameurs de rage des autres Indiens. Renonçant alors provisoirement à une discussion inutile, ils sortirent du cercle, et allèrent se grouper dans un angle éloigné du calli, résolus à demeurer témoins impassibles, sinon indifférents, des résolutions qui seraient prises par le conseil.

Les Indiens sont de grands enfants qui se grisent au bruit de leurs propres paroles et qui, lorsque la passion les agite, oublient toute prudence et toute mesure.

Cependant, dans la circonstance présente, bien qu’ils éprouvassent le plus vif désir de se venger du Chat-Tigre, qu’ils haïssaient d’autant plus fortement en ce moment qu’ils l’avaient plus aimé et plus respecté, bien que les mesures les plus violentes fussent proposées contre lui cependant ce n’était qu’avec une sorte d’hésitation qu’ils procédaient contre leur ancien chef ; la