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LES CHASSEURS D’ABEILLES

d’abord emprunté, est devenu bien réellement le sien, et nul ne songerait à lui disputer le droit de le porter.

— Vous piquez au dernier point ma curiosité ; j’attends avec impatience qu’il vous plaise de commencer.

Les deux hommes s’installèrent alors le plus confortablement possible dans le rancho, et don Estevan Diaz, sans différer davantage, commença le récit si longtemps attendu ; le jeune homme parla toute la journée ; au coucher du soleil il parlait encore.

Don Fernando, les yeux avidement fixés sur lui, la poitrine haletante et les sourcils froncés, suivait avec le plus vif intérêt ce récit dont les sinistres péripéties, en se déroulant peu à peu devant lui, faisaient courir dans ses veines des frissons de colère mêlée de terreur.

Nous substituant à don Estevan, nous allons rapporter au lecteur cette douloureuse histoire.


XV

DON GUSMAN DE RIBEYRA


Ce fut en 1515 que Juan Diaz de Solis découvrit le rio de la Plata, découverte qui lui coûta la vie.

D’après Herrera, ce fleuve, auquel Solis avait imposé son nom, prit plus tard celui de rio de la Plata, parce que le premier argent enlevé d’Amérique fut embarqué sur ce point pour l’Espagne.

En 1535, don Pedro de Mendoza, nommé par l’empereur Charles-Quint adelantado ou gouverneur général de toutes les terres comprises entre le rio de la Plata et le détroit de Magellan, fonda sur la rive droite du fleuve, en face de l’embouchure de l’Uruguay, une ville nommée d’abord Nuestra-Señora-de-Buenos-Ayres, puis la Trinidad-de-Buenos-Ayres, enfin Buenos-Ayres, nom qui lui est définitivement demeuré.

Ce serait une histoire curieuse et pleine d’enseignements utiles que celle de cette ville qui, dès les premiers jours de son existence, sembla être marquée du sceau de la fatalité.

Il faut lire dans la naïve narration d’Ulrich Schmidel, aventurier allemand, un des fondateurs de Buenos-Ayres, à quel excès de misère furent réduits les malheureux conquérants que la faim contraignit à dévorer les corps de leurs compagnons tués par les Indiens Carendies, que leurs exactions et leurs cruautés avaient exaspérés, et qui, persuadés que ces hommes blancs débarqués chez eux d’une si étrange façon étaient des génies malfaisants, avaient juré leur extermination.

Singulière destinée que celle de cette ville condamnée à lutter continuellement, soit contre les ennemis du dehors, soit contre ceux beaucoup plus redoutables du dedans, et qui, malgré ces guerres incessantes, n’en est pas