Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/191

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
LES CHASSEURS D’ABEILLES

l’approche du soir, les oiseaux venaient par troupes nombreuses se blottir en chantant sur les branches feuillues des grands arbres. Les vaqueros et les peones, galopant dans toutes les directions, rassemblaient le bétail et lui faisaient reprendre le chemin de l’hacienda ; on voyait au loin une halte d’arrieros dont les feux de nuit commençaient déjà à teindre le ciel, à chaque minute plus sombre, de larges reflets rougeâtres.

— Maintenant que vous savez aussi bien que moi les secrets de la famille avec laquelle le hasard vous a mis en rapport, reprit don Estevan, que comptez-vous faire ?

— Un mot, d’abord, et avant tout, répondit le Cœur-de-Pierre.

— Parlez : vous devez, en effet avoir à votre tour bien des choses à me confier.

— Pas autant que vous le supposez. Vous savez de ma vie tout ce que j’en sais moi-même, c’est-à-dire presque rien, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit en ce moment entre nous.

— De quoi donc s’agit-il ? fit don Estevan avec un mouvement de curiosité.

— Je vais vous le dire. Certes vous ne m’avez pas fait ce long et intéressant récit dans le but de satisfaire une curiosité que je ne vous ai nullement témoignée ; il doit, dans votre pensée, y avoir autre chose ; cette autre chose, je crois l’avoir devinée. Don Estevan Diaz, deux hommes de cœur, lorsqu’ils sont liés l’un à l’autre comme la liane au chène-acajou, que leurs pensées se confondent en une seule, que leur volonté est une, ces deux hommes sont bien forts, car ils se complètent l’un par l’autre, et ce que seuls ils n’auraient osé essayer, ils l’entreprennent sans hésiter, et sont presque sûrs de réussir dans l’accomplissement de tous leurs projets, quelque fous et téméraires que soient en apparence ces projets : n’êtes-vous pas de mon avis ?

— Certes, don Fernando, je partage entièrement votre sentiment.

Un éclair de joie illumina le visage du jeune homme.

— Bien, dit-il en étendant le bras, voilà ma main, don Estevan, c’est celle d’un homme qui, avec la main, vous offre un cœur dévoué et bon, quoi qu’on puisse dire : acceptez-vous ?

— Vive Dios ! s’écria chaleureusement le mayordomo en prenant vigoureusement dans les siennes la main qui lui était si loyalement tendue, j’accepte l’une et l’autre, merci ! frère ; la proposition que vous me faites, j’allais vous la faire moi-même. Maintenant c’est entre nous à la vie et à la mort ! Je suis à vous comme la lame à la poignée !

— Ah ! s’écria le jeune homme avec un soupir de joie, j’ai donc un ami, enfin ! je ne marcherai plus seul dans la vie ; joie ou tristesse, chagrin ou bonheur, j’aurai un cœur auquel je pourrai tout confier !

— Vous aurez plus que cela, frère, vous aurez une famille. Ma mère sera la vôtre ; venez, remontons à cheval, il se fait tard ; nous avons encore bien des choses à nous dire.

— Allons, répondit simplement le chasseur.

Les chevaux n’avaient pas quitté les environs du rancho où ils avaient trouvé une provende abondante ; les jeunes gens les lacèrent facilement, et