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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Bien, sans bruit, dès demain, sous prétexte de certains travaux urgents à exécuter à l’hacienda, j’enrôlerai une quinzaine de leperos, gens de sac et de corde, qui pour de l’or m’obéiront aveuglément et ne reculeront devant rien.

— C’est cela, il vous sera facile de les occuper ici à rien faire en attendant l’heure de jouer de la navaja ou du rifle.

— Je vous réponds que personne ne songera à s’informer d’eux ; mais quelle sorte de signal m’enverrez-vous ? et par qui le recevrai-je ?

— Le signal sera une plume d’aigle blanc cassée en trois morceaux et dont l’extrémité sera peinte en rouge ; celui qui vous remettra cette plume devra vous dire seulement : Mes deux piastres. Vous les lui remettrez sans observation, vous prendrez la plume et vous le congédierez.

— Mais quel sera cet homme, mon ami ?

— Un inconnu, le premier que je rencontrerai probablement ; il faut que cet émissaire ne se doute pas de la gravité du message dont je l’aurai chargé, au cas où il tomberait entre les mains de l’ennemi.

— Puissamment raisonné ! allons, allons ! je crois que nous nous en tirerons.

— Moi j’en suis sûr, s’écria don Fernando, si vous suivez ponctuellement mes instructions.

— Quant à cela, ne vous en inquiétez pas, frère, je vous réponds de mon exactitude.

Tout bien convenu et bien arrêté ainsi entre nos trois personnages, ils se séparèrent pour se livrer au repos, d’autant plus qu’il était tard déjà, et que les deux jeunes gens devaient, au lever du soleil, monter à cheval pour se rendre au présidio de San-Lucar.


II

LA FORÊT VIERGE


Don Torribio Quiroga, dont il nous faut maintenant nous occuper, était un jeune homme de vingt-huit ans, à la physionomie fine et spirituelle, à la taille élégante, et possédant au plus haut degré les manières du grand monde.

Il appartenait à l’une des familles les plus riches et les plus considérables de l’État de Chihua-hua ; la mort de ses parents l’avait, dans un pays où l’or est si commun, doté d’une fortune de plus de cinq cent mille piastres de rente, c’est-à-dire environ deux millions et demi.

Un homme dans cette position, et doué des avantages physiques et moraux que possédait don Torribio, a le droit de prétendre à tout ; car, arrivé à une certaine hauteur de fortune, les obstacles n’existent plus, ou du moins, au lieu d’être une entrave, ne sont plus qu’un excitant.

Don Torribio avait réussi dans tout ce qu’il avait essayé, sauf sur un