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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Qui êtes-vous ? fit-il d’une voix faible.

— Des amis ; seňor, ne craignez rien.

— Je suis rompu, j’ai les membres brisés.

— Il n’en est rien, seňor, à part la fatigue, vous vous portez aussi bien que nous.

Don Torribio se redressa, et regardant attentivement les hommes qui l’entouraient :

— Mais, je ne me trompe pas, dit-il, j’étais loin de m’attendre à vous trouver ici : par quel miracle êtes-vous arrivés à temps pour me sauver, vous à qui j’avais assigné un rendez-vous si éloigné du point où nous sommes ?

— Le miracle, c’est votre cheval qui l’a fait, seňor, reprit le Verado.

— Comment cela ? demanda don Torribio, dont la voix se raffermissait de plus en plus, et qui déjà était parvenu à se mettre debout.

— C’est on ne peut plus simple : nous longions le couvert de cette forêt pour nous rendre à l’endroit que vous nous aviez assigné, lorsque tout à coup nous vîmes passer devant nous, avec une rapidité vertigineuse, un cheval ayant à ses trousses une bande de loups rouges ; nous l’avons débarrassé de ces ennemis acharnés ; ensuite, comme il ne nous a pas paru probable qu’un cheval tout sellé se trouvât seul dans cette forêt où nul n’ose s’aventurer, nous nous sommes mis à la recherche du cavalier. Votre cri nous a guidés.

— Merci, répondit don Torribio, je saurai acquitter la dette que j’ai contractée envers vous.

— Bah ! cela n’en vaut pas la peine, allez ; voici votre cheval, maintenant nous partirons quand vous voudrez.

Le jeune homme étendit la main.

— Demeurez, dit-il, nous ne saurions trouver un endroit plus convenable que celui-ci pour ce que nous avons à nous dire.


III

DON TORRIBIO QUIROGA


Après cette parole de don Torribio il y eut un assez long silence. Les vaqueros, les yeux fixés sur le jeune homme, cherchaient, par le jeu de sa physionomie, à deviner ses pensées secrètes.

Mais le visage de don Torribio, froid et immobile comme un bloc de marbre, ne laissait rien lire sur ses traits.

Enfin, après avoir jeté un regard soupçonneux autour de lui, plutôt par habitude que dans la crainte d’être entendu, le jeune homme tordit une cigarette, l’alluma avec la plus grande nonchalance et prit la parole d’un ton dégagé :

— Mon cher Verado, dit-il, je suis réellement fâché que vous ayez