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LES CHASSEURS D'ABEILLES

dérangé ces honorables caballeros de leurs occupations et que vous vous soyez dérangé vous-même pour vous rendre au lieu que je vous avais désigné.

— Pourquoi donc cela, Seigneurie ? demanda le Verado fort intrigué par cette entrée en matière.

— Pour une raison bien simple, cher señor, c’est que les motifs qui me faisaient désirer causer avec vous n’existent plus.

— Ah bah ! firent les bandits en ouvrant de grands yeux, il serait possible ?

— Mon Dieu, oui, reprit-il nonchalamment : tout bien considéré, don Fernando Carril est un charmant cavalier auquel je serais désespéré de causer le moindre désagrément.

— Diablo ! pas déjà si charmant, observa le Verado, lui qui a ordonné à Carlocho de me tuer adroitement.

— Ce n’est pas à moi, cher ami, dit Carlocho avec aménité, mais à don Pablo ici présent, que le señor don Fernando a donné cet ordre.

— C’est vrai, j’avais confondu : recevez mes excuses, señor.

Après cet échange de courtoisie, les deux bandits devinrent silencieux de nouveau.

— Un honnête homme n’a que sa parole, observa Tonillo, et si don Torribio a changé d’avis, nous n’avons rien à dire ; cela me fait songer, ajouta-t-il avec un soupir étouffé, que je vous dois remettre, Seigneurie, deux cents piastres que vous m’aviez avancées pour…

— Gardez cette misère, cher seigneur, je vous prie, interrompit don Torribio, cette petite somme ne saurait mieux être placée qu’entre vos mains.

Le vaquero, qui avait sorti de sa poche l’argent avec une répugnance évidente, l’y réintégra avec une prestesse et une expression de plaisir manifestes.

— C’est égal, dit-il, je ne me considère pas comme quitte envers vous, Seigneurie : je suis honnête homme, vous pouvez compter sur moi.

— Sur nous, appuyèrent chaleureusement les autres.

— Je vous remercie de ce dévouement dont j’apprécie la portée, señores, reprit don Torribio, malheureusement, je vous le répète, il me devient inutile.

— C’est fâcheux ! fit le Verado, on ne trouve pas tous les jours des patrons comme vous, Seigneurie.

— Bah ! fit-il gaiement, maintenant que vous voilà libres, qui vous empêche de vous mettre aux ordres de don Fernando ? Il est fort généreux, caballero jusqu’au bout des ongles : je suis convaincu qu’il vous paiera bien.

— Il le faudra bien, Seigneurie, dit Pablito ; d’ailleurs nous pouvons maintenant vous avouer que nous y avons songé déjà, et…

— Que vous vous êtes mis à son service : je le savais, fit négligemment le jeune homme.

— Ah ! s’écrièrent les bandits avec étonnement.

— Et cela ne vous contrarie pas, Seigneurie ? demanda Pablito.

— Pourquoi donc ? j’en suis charmé, au contraire : le hasard est si singu-