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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Même des coupe-jarrets et des salteadores, mon cousin, si tel est votre bon plaisir, répondit le jeune homme en s’inclinant avec ironie.

Don Fernando fit un geste comme pour s’élancer sur l’homme qui l’insultait ainsi, mais il se contint.

— Que don Torribio daigne s’expliquer clairement, dit-il d’une voix calme, et non pas par énigmes.

— À qui la faute, caballero, si je parle par énigmes ? le mystère ne vient-il pas de vous seul ?

— Assez ! caballeros, s’écria don Pedro, un mot de plus sur ce sujet serait me faire une nouvelle injure.

Les deux jeunes gens s’inclinèrent respectueusement devant l’haciendero, et s’éloignèrent l’un de l’autre, non pas cependant sans avoir échangé un regard d’une expression terrible.

— Eh bien ! colonel, continua don Pedro en s’adressant au gouverneur, afin de faire oublier l’impression produite par cette altercation regrettable, quelles nouvelles de la Ciudad ? Mexico est-il toujours tranquille ?

— Notre grand Santa-Anna, répondit le colonel, qui étouffait dans son uniforme, a encore battu à plate couture l’audacieux général qui avait osé faire un pronunciamiento contre lui.

— Dieu soit loué ! peut-être cet avantage nous procurera-t-il un peu de cette tranquillité dont le commerce a si grand besoin.

— Oui, repartit un riche haciendero voisin de don Pedro, les communications ont été si difficiles depuis quelque temps qu’on ne pouvait plus rien expédier.

— Est-ce que les Peaux-Rouges se remueraient ? demanda un négociant inquiet de ces paroles.

— Oh ! interrompit le commandant, il n’y a pas de danger ; la dernière leçon qu’ils ont reçue a été rude ; ils s’en souviendront ; de longtemps ils n’oseront envahir nos frontières.

Un sourire presque invisible passa sur les lèvres de don Fernando.

— Vous oubliez le Chat-Tigre et ses adhérents ? dit-il.

— Oh ! le Chat-Tigre est un bandit, répondit vivement le colonel. D’ailleurs le gouvernement prépare en ce moment une expédition contre lui, afin d’en finir une fois pour toutes avec cette troupe de brigands.

— C’est fort bien pensé, observa don Torribio avec un sourire à double tranchant. Cette frontière a grand besoin d’être débarrassée de cette foule de gens sans aveu aux mœurs plus qu’équivoques qui l’infestent.

— Je partage complètement cet avis ; il me semble des plus sensés, dit paisiblement don Fernando en répondant par un sourire non moins tranchant au sourire de son ennemi.

— En cas d’invasion, croyez-vous les Indiens capables de troubler sérieusement la province ? reprit le négociant.

— Hum ! dit don Antonio d’un air avantageux, on se fait une très fausse idée des Peaux-Rouges : en somme, ce sont de pauvres hères.

Don Fernando sourit de nouveau, mais d’une façon amère et sinistre.