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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Tant mieux ! Revenez le plus tôt possible : vous savez que votre retour comblera tout le monde de joie ici, dit-il avec intention.

Quien sabe ? — qui sait ? — murmura le jeune homme d’une voix sinistre.

Doña Hermosa, qui avait entendu ces quelques mots, ne fut pas maîtresse de son effroi.

Pendant que don Pedro et son cousin échangeaient ce peu de paroles, la jeune fille avait murmuré à l’oreille de don Estevan :

— Demain après la messe, mon frère, je veux vous parler chez ma nourrice.

— À moi, ou à mon ami ? avait répondu doucement don Estevan.

— À tous deux, reprit-elle avec une agitation fébrile.

Les deux jeunes gens s’étaient retirés la joie au cœur. Don Fernando était maintenant certain que doña Hermosa l’avait reconnu.

Les visiteurs prirent congé les uns des autres, don Torribio Quiroga demeura seul avec ses hôtes.

— Ma cousine, dit-il d’une voix basse et entrecoupée, en se penchant vers la jeune fille pour lui faire ses adieux, je pars pour un voyage où je courrai sans doute de grands dangers : puis-je espérer que vous daignerez, dans vos prières, vous souvenir du voyageur ?

Hermosa le regarda un instant en face, et, avec une rudesse qui ne lui était pas habituelle, elle répondit :

— Mon cousin, je ne puis prier pour la réussite d’une expédition dont je ne connais pas le but.

— Merci de votre franchise, señorita ! reprit-il sans s’émouvoir, je n’oublierai pas vos paroles.

— Ainsi vous partez réellement, don Torribio ? dit don Pedro en s’approchant.

— À l’instant même, mon cousin, tout est prêt pour mon départ.

— Alors, bon voyage ! j’espère que vous nous donnerez bientôt de vos nouvelles.

— Oui, oui, fit-il avec une expression singulière, vous entendrez bientôt parler de moi ; adieu !

Et après les politesses d’usage il se retira.

— Qu’a donc ton cousin, niña ? demanda don Pedro à sa fille dès qu’il, fut seul avec elle ; sa conduite ce soir a été étrange.

Avant que la jeune fille eût le temps de répondre, la porte s’ouvrit.

— Le capataz de l’hacienda de las Norias de San-Pedro, dit un domestique, demande à parler pour affaire importante au señor don Pedro de Luna.

— Faites entrer à l’instant, répondit don Pedro au domestique qui avait si longuement annoncé, le capataz

Don Torribio était extrêmement agité lorsqu’il sortit de la maison ; il se retourna et darda son œil de vipère sur les fenêtres du salon, où se dessinait la silhouette mobile de doña Hermosa.

— Orgueilleuse fille, dit-il d’une voix sourde et terrible, je te hais de tout ! l’amour que j’ai eu pour toi ! Bientôt, je l’espère, je te punirai de tes dédains.