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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Puis, s’enveloppant dans son manteau, il se dirigea d’un pas rapide vers le premier patio où il devait retrouver son cheval.

Effectivement, un domestique le tenait en bride. Le jeune homme rassembla les rènes, jeta une piastre au peon, se mit en selle d’un bond et partit au galop.

— Eh ! fit l’Indien en ramassant la piastre, qu’est-ce qu’il a donc, le jeune maître ? on le croirait fou ! Comme il détale !

Cependant don Torribio était sorti de l’hacienda et avait pris à toute bride le chemin du presidio de San-Lucar.

À peine courait-il ainsi depuis un quart d’heure, que tout à coup, arrivé à une courbe de chemin, le cheval fit un bond de terreur et se cabra en reculant et en couchant les oreilles.

Le jeune homme regarda ce qui pouvait ainsi effrayer son cheval.

À quatre ou cinq pas devant lui, un homme d’une haute stature, monté sur un fort cheval noir, se tenait immobile au milieu du chemin et barrait complètement le passage.

Don Torribio arma un pistolet.

— Holà ! caballero, cria-t-il d’une voix brève : à droite ou à gauche.

— Ni l’un ni l’autre, don Torribio Quiroga, répondit froidement l’inconnu, j’ai à vous parler.

— À cette heure de nuit et dans ce lieu, la prétention est singulière, reprit le jeune homme en raillant.

— Je n’ai pu choisir ni le temps ni l’heure. N’avez-vous pas reçu un billet sans signature aujourd’hui ?

— En effet, s’écria le jeune homme en se frappant le front, et dans ce billet on me proposait…

— De vous apprendre, interrompit vivement l’inconnu, des choses que dans ce moment il vous importe beaucoup de savoir.

— C’est bien cela que contenait ce billet.

— C’est moi qui vous l’ai fait remettre.

— Ah ! fit-il avec étonnement, c’est vous ?

— Oui, je suis prêt à vous satisfaire, mais pour cela il vous faut me suivre.

— À quoi bon, répondit le jeune homme, apprendre ces choses ? Peut-être vaut-il mieux que je les ignore.

— À votre aise, je ne vous force pas de m’écouter ; chacun est libre d’agir à sa guise. Si vous préférez laisser vos injures sans vengeance, je n’ai rien à objecter.

Ces paroles furent prononcées avec un tel accent de sarcasme que le jeune homme tressaillit malgré lui.

— Est-ce bien réellement la vengeance que vous m’offrez ? demanda-t-il d’une voix étranglée par la colère qui bouillonnait dans son cœur.

— Vous en jugerez, si vous voulez me suivre.

— Démon, ou qui que tu sois, s’écria le jeune homme, marche, puisqu’il le faut, je te suivrai jusqu’en enfer !