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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Amen ! fit l’inconnu avec un ricanement sinistre.

Les deux cavaliers s’enfoncèrent dans l’obscurité, et le galop furieux de leurs chevaux fut vite perdu dans les profondeurs du silence.


V

LE GUET-APENS


Don Fernando et son ami avaient, ainsi que nous l’avons dit, quitté l’hacienda un peu avant don Torribio ; les deux jeunes gens s’étaient en toute hâte rendus au rancho qu’ils habitaient ; la tertulia s’était terminée à neuf heures du soir, à onze heures ils avaient atteint le rancho.

Doña Manuela les attendait : en quelques mots ils la mirent au courant de ce qui s’était passé pendant la soirée ; ils se hâtèrent de se livrer au repos, car il leur fallait partir au lever du soleil, s’ils voulaient arriver au presidio de San-Lucar de bonne heure, sans que cette longue course fatiguât doña Manuela, qui devait les accompagner.

Effectivement, ainsi que cela avait été convenu entre eux, un peu avant quatre heures du matin ils montèrent à cheval.

Au Mexique, où la chaleur est si intense pendant le jour, on ne voyage ordinairement que la nuit, c’est-à-dire de quatre heures du matin à onze heures et de six heures du soir à minuit.

Neuf heures sonnaient au moment où la petite troupe entrait dans le presidio.

Don Fernando laissa son ami et sa mère se rendre à la maison qu’il possédait à San Lucar et qu’il avait mise à leur disposition ; quant à lui, il se dirigea vers l’habitation du gouverneur, où l’appelaient de graves intérêts.

Le digne commandant reçut on ne peut mieux le jeune homme qui, en plusieurs circonstances, lui avait rendu d’assez importants services, et se confondit auprès de lui en politesses de toutes sortes.

Cependant, malgré le visage agréable que le colonel s’empressait de lui présenter, don Fernando s’aperçut à un certain froncement de sourcils dissimulé avec peine, que don José Kalbris était en proie à une contrariété qu’il faisait par politesse de vains efforts pour dissimuler devant son jeune hôte.

Don José Kalbris était un brave et digne soldat, franc et loyal comme son épée, auquel le gouvernement de Mexico avait donné le gouvernement du presidio en guise de retraite pour récompenser ses vaillants services pendant la guerre de l’Indépendance.

Depuis plus de quinze ans le colonel habitait le presidio que, grâce à une certaine sévérité tempérée par une grande justice et un courage à toute épreuve, il était parvenu à conserver continuellement dans un état de tranquillité apparente, malgré le mauvais vouloir des vaqueros, gens de sac et de corde, dont il était obligé chaque année de faire garrotter trois ou quatre des