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LES CHASSEURS D’ABEILLES

tandis qu’un second se retirait du combat la poitrine traversée de part en part par la une épée de don Fernando.

— Eh ! eh ! mes maîtres, leur criait le jeune homme, en avez-vous assez, ou bien l’un de vous veut-il encore faire connaissance avec mon épée ? Vous êtes des sots ! c’est dix qu’il fallait vous mettre pour nous assassiner.

— Eh quoi ! ajouta le mayordomo, vous renoncez déjà ? Allons ! allons ! vous n’êtes pas adroits, pour des coupe-jarrets ; celui qui vous paie aurait dû mieux choisir.

Effectivement, les deux hommes masqués qui restaient avaient fait quelques pas en arrière et se tenaient sur la défensive.

Tout à coup quatre autres hommes masqués apparurent, et tous les six se ruèrent une seconde fois sur les deux Espagnols, qui les attendirent de pied ferme.

— Diable ! je vous avais fait injure ; je vois que vous connaissez votre métier, dit don Estevan en déchargeant à bout portant un pistolet dans le groupe de ses adversaires.

Ceux-ci, toujours muets, ripostèrent, et le combat recommença avec une nouvelle furie.

Mais les deux braves jeunes gens ne pouvaient désormais faire une longue défense ; leurs forces étaient épuisées ; ils ne tardèrent pas à tomber à leur tour sur les cadavres de deux autres assaillants, qu’ils sacrifièrent à leur colère avant de succomber.

Aussitôt qu’ils virent don Fernando et don Estevan étendus sans mouvement, les inconnus poussèrent un cri de triomphe.

Sans s’occuper du mayordomo, ils prirent le corps de don Fernando, le mirent en travers sur le cou d’un de leurs chevaux, et, partant à toute bride, ils ne tardèrent pas à disparaître dans les méandres infinis de la route.

La tempête sévissait toujours avec fureur ; un silence funèbre régna à la place où s’était accomplie cette tragédie, et dans laquelle restaient couchés sept cadavres au-dessus desquels les vautours et les hideux zopilotes commençaient à former de vastes cercles en poussant des cris rauques.


VI

SAN-LUCAR


Après le départ de don Fernando, le gouverneur et le major restèrent un instant affaissés sous le poids des inquiétantes nouvelles qu’ils venaient de recevoir.

Mais cet état de prostration, si éloigné du caractère de ces deux vieux soldats, dont la vie n’avait été qu’une longue lutte, n’eut que la durée d’un éclair : bientôt ils redressèrent la tête comme deux nobles coursiers qui entendent à leurs oreilles résonner le signal de la bataille ; après s’être silencieu-