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LES CHASSEURS D’ABEILLES

paraître les Peaux-Rouges et à entendre résonner leur cri de guerre à leurs oreilles.

Don Fernando et Estevan marchaient côte à côte sans échanger une parole, chacun se livrant à ses pensées.

Cependant, plus les voyageurs se rapprochaient du bord du fleuve, plus l’orage augmentait d’intensité ; la pluie tombait à torrents, les éclairs se succédaient sans interruption, les éclats du tonnerre grondaient majestueusement, répercutés par les échos des hautes falaises dont d’énormes morceaux se détachaient à chaque instant et roulaient avec fracas dans le fleuve.

Le vent avait acquis une telle force, que les cavaliers ne pouvaient avancer qu’avec une difficulté inouïe, et risquaient à chaque seconde d’être renversés de leurs chevaux qui, effrayés par l’orage, faisaient des écarts terribles. La terre et le sable, détrempés par la pluie, n’offraient pas une seule place où les pauvres bêtes pussent poser les pieds avec sécurité ; elles trébuchaient à chaque pas, renâclaient avec force et menaçaient de s’abattre.

— Il est impossible d’avancer davantage, dit le mayordomo en ramenant son cheval d’un écart qui avait failli le désarçonner.

— Que faire ? demanda don Fernando en regardant autour de lui avec inquiétude.

— Ma foi ! je crois que le mieux sera de nous abriter pendant quelques instants sous ce bouquet d’arbres, l’orage va toujours en augmentant ; marcher plus longtemps est une folie.

— Allons donc, puisqu’il le faut ! dit avec résignation don Fernando.

Il se dirigèrent alors du côté d’un petit bois qui bordait la route et pouvait leur offrir un abri provisoire pour laisser passer la plus grande rage de la tempête.

Ils n’en étaient plus qu’à quelques pas tout au plus, lorsque quatre hommes dont le visage était couvert de masques noirs, sortirent à fond de train du bois et s’élancèrent avec furie contre les voyageurs, qu’ils attaquèrent sans prononcer une parole.

Les peones roulèrent en bas de leurs chevaux, atteints de deux coups de feu que leur avaient tirés les inconnus, et se tordirent dans les convulsions de l’agonie en poussant des cris pitoyables.

Don Fernando et don Estevan, étonnés de cette attaque subite de la part d’hommes qui ne pouvaient être des Indiens, car ils portaient le costume des vaqueros, et leurs mains étaient blanches, mirent immédiatement pied à terre et, se faisant un rempart du corps de leurs chevaux, ils attendirent, la carabine à l’épaule, le choc de leurs adversaires.

Ceux-ci, après s’être assurés que les deux peones étaient morts, avaient tourné bride et revenaient sur les deux Espagnols.

De nouvelles balles furent échangées et un combat acharné s’engagea : lutte inouïe de deux hommes contre quatre, dans laquelle aucun mot n’était prononcé, où chacun cherchait à tuer son adversaire ; qui ne devait finir que par la mort de ceux qui avaient été si traîtreusement attaqués !

Cependant le combat se soutenait avec une apparence d’égalité qui décourageait les assaillants, dont l’un était tombé, le crâne fendu jusqu’aux dents