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LES CHASSEURS D'ABEILLES

à vos désirs : quand une ville est investie, aucun chef ennemi ne peut y être introduit pour parlementer.

— Mon père a-t-il donc peur qu’à nous quatre nous prenions la ville ? dit l’Apache en riant, mais intérieurement vexé de voir avorter le projet qu’il avait de s’entendre avec les amis qu’il avait probablement dans la place.

— J’ai pour habitude de ne rien craindre, reprit le major, seulement je vous apprends une chose que vous ignoriez, voilà tout ; maintenant, si vous voulez vous servir de ce prétexte pour rompre l’entrevue, vous en êtes les maîtres ; je n’ai plus qu’à me retirer.

— Oh ! oh ! mon père est vif pour son âge ! Pourquoi rompre l’entrevue, puisque nous n’avons pas encore parlé de ce qui en fait le sujet ?

— Parlez donc et dites-moi ce qui vous amène.

Les sachems se consultèrent du regard, et échangèrent quelques mots à voix basse.

Enfin le chef reprit la parole :

— Mon père a vu la grande armée des Apaches et de toutes les nations alliées, dit-il.

— Oui, répondit le major avec indifférence.

— Et mon père, qui est un Visage-Pâle et a beaucoup de science, a-t-il compté les guerriers qui la composent ?

— Oui, autant que cela m’a été possible.

— Ah ! combien sont-ils, d’après le calcul de mon père ?

— Mon Dieu ! chef, répondit le major avec un laisser-aller des mieux joués, je vous avoue que leur nombre nous importe fort peu, à nous autres.

— Mais, cependant, quelle peut être l’évaluation faite par mon père ? insista l’Indien.

— Que sais-je ? huit ou neuf mille tout au plus.

Les chefs furent frappés de l’indifférence avec laquelle le major triplait du premier coup la force de leur armée.

Le guerrier apache reprit :

— Et mon père n’est pas effrayé du nombre de ces guerriers réunis sous les ordres d’un seul chef ?

L’étonnement des sachems n’avait pas échappé au major.

— Pourquoi en serais-je effrayé ? ma nation n’en a-t-elle pas vaincu de plus nombreuses ?

— C’est possible, répondit le chef en se mordant les lèvres, mais celle-ci ne sera pas vaincue.

— Qui sait ? Est-ce pour me dire cela que vous avez voulu parlementer, chef ? Alors vous pouviez parfaitement vous en dispenser.

— Non, ce n’est pas pour cela ; que mon père soit patient.

— Parlez alors, et finissons-en ; avec toutes vos circonlocutions indiennes, on ne sait jamais à quoi s’en tenir avec vous.

— L’armée des grandes nations est campée devant le presidio, afin d’obtenir la satisfaction de tous les maux que les Visages-Pâles ont fait souffrir aux Indiens depuis qu’ils ont mis le pied sur la terre rouge.

— Où voulez-vous en venir ? expliquez-vous clairement, et d’abord, quel