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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Quelles qu’elles soient, je les accomplirai, vous dis-je, s’écria-t-il, si vous assurez ma double vengeance,

— Bien ! jurez-moi par ce qu’il y a de plus sacré au monde que, quoi qu’il arrive, quelle que soit votre détermination ultérieure, rien de ce qui va se passer entre nous ne sera répété par vous.

— Je vous le jure à fé de caballero[1], señor, parlez en toute confiance.

— Vous m’avez demandé qui je suis il y a un instant : je suis le Chat-Tigre !

Le jeune homme tressaillit involontairement en entendant ce nom redouté ; mais se remettant aussitôt :

— Fort bien ! dit-il, ce nom que vous me révélez est pour ma vengeance une garantie de succès.

— Oui, n’est-ce pas ? répondit le bandit en ricanant ; ma réputation est faite de longue date sur la frontière. Maintenant, voici ce que j’exige de vous ; pesez bien ce que vous allez entendre, réfléchissez sérieusement à ce que je vous propose, avant de me répondre, car, je vous le répète, je vous contraindrai à exécuter toutes les conditions que vous aurez acceptées.

— Parlez ! fit-il avec impatience, ne vous ai-je pas dit que je voulais me venger ?

— Écoutez donc alors, et souvenez-vous de votre serment. Je prépare en ce moment une expédition formidable contre le presidio de San-Lucar, dont je veux m’emparer à tout prix ; pour certaines raisons qu’il est inutile que vous sachiez, j’ai réuni plusieurs tribus apaches et un grand nombre de vaqueros qui, embusqués à quelques pas d’ici, n’attendent qu’un signe de moi pour fondre comme des tigres altérés de sang et de carnage sur ce pueblo qui regorge de richesses ; un allié actif et intelligent sur le concours duquel je comptais pour exécuter ce hardi coup de main m’a abandonné au dernier moment. Cet allié, vous seul pouvez le remplacer, le voulez-vous ?

— Mais, s’écria le jeune homme en tressaillant, c’est une trahison que vous me proposez ?

— Non, répondit-il d’une voix profonde, c’est une vengeance ! une vengeance éclatante dans laquelle se confondront vos ennemis et ceux qui ont applaudi à leurs succès en riant de pitié à chacune de vos défaites.

— Comment ! moi, don Torribio Quiroga, appartenant à une des anciennes familles du pays, je m’associerais à des…

Il s’interrompit avec hésitation. Le Chat-Tigre sourit avec mépris.

— À des bandits et des Peaux-Rouges pour faire la guerre à vos compatriotes, dit-il. Pourquoi hésiter à prononcer ce mot ? Pour moi, ces qualifications n’ont aucune valeur : je vous offre de vous venger de ces compatriotes qui pour vous sont devenus des ennemis, puisqu’ils se sont rangés du côté de votre adversaire ; c’est un duel que vous allez engager : dans un duel toutes les feintes sont bonnes pour tuer son ennemi ; du reste, voilà mes conditions : je n’y changerai rien. Vous avez vingt-quatre heures pour y réfléchir.

  1. Sur ma foi de gentilhomme.