de l’hacienda, et se mit en selle, et s’élança à toute bride dans la campagne en murmurant avec rage :
— Le Chat-Tigre avait raison : je n’ai plus qu’à me rendre à la baranca del Frayle.
IX
LE PRISONNIER
Nous devons maintenant expliquer au lecteur ce qui s’était passé après la chute de don Fernando Carril, lors du guet-apens dont il avait été victime.
Aussitôt que son épée eut échappé à sa main mourante, et qu’il fut tombé aux côtés de son compagnon, les hommes masqués, qui jusqu’alors ne s’étaient risqués qu’avec une certaine défiance à s’approcher de lui, tant sa fine épée leur imposait de respect, comme le témoignaient les corps des quatre bandits dont elle avait percé la poitrine et qui gisaient sur le sable, se précipitèrent tous à la fois sur lui.
Don Fernando Carril était étendu sur le dos ; il ne donnait plus signe de vie : une pâleur mortelle couvrait son noble et beau visage ; ses lèvres entr’ouvertes laissaient voir des dents serrées ; le sang coulait à flots de plusieurs blessures qu’il avait reçues, et sa main crispée serrait encore l’arme avec laquelle il avait si longtemps lutté contre les assassins.
— Caspita ! dit l’un d’eux en le regardant attentivement, voilà un jeune seigneur qui est bien malade ; que dira le maître !
— Que voulez-vous qu’il dise, señor Carlocho ? répondit un autre ; il se défendait comme un lion : c’est sa faute ! il aurait dû se laisser prendre gentiment, et rien de tout cela ne serait arrivé. Voyez, nous avons perdu quatre hommes.
— Belle perte, sur ma foi, que ces quatre gaillards-là ! J’aurais préféré qu’il en eût tué six, et qu’il ne se trouvât pas dans cet état-là.
— Diable ! murmura le bandit, ce n’est pas aimable pour nous, ce que vous dites là, savez-vous ?
— C’est bon ! c’est bon ! aidez-moi à panser ses blessures tant bien que mal et filons au plus vite, il ne fait pas bon pour nous ici ! D’ailleurs on nous attend autre part ; ainsi faites vite.
Sans plus discuter les bandits se hâtèrent d’obéir aux ordres de Carlocho ; les blessures du jeune homme ayant été pansées tant bien que mal, son corps fut jeté en travers sur le cheval du gaucho qui semblait diriger l’expédition et toute la troupe partit au galop, sans s’occuper davantage de ceux qui avaient succombé dans la lutte, et dont les corps restaient abandonnés aux bêtes fauves.
Après une course d’une rapidité extrême et qui dura près de deux heures, ils arrivèrent enfin à un rancho abandonné. Deux hommes s’y trouvaient, attendant leur venue avec impatience.