Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
272
LES CHASSEURS D'ABEILLES

— Voyons, dit la Mexicaine impatientée des tergiversations du sorcier, et craignant le retour de ses persécuteurs, mon père refuse-t-il de me conduire au toldo du grand chef ? Qu’il y prenne garde, il nous attend.

Le sorcier lui lança un regard perçant, la vieille dame le supporta sans baisser les yeux.

— Bon ! dit-il, ma mère n’a pas menti, qu’elle me suive.

Et, se plaçant entre les deux femmes, qu’il saisit chacune par un poignet, il les guida à travers le dédale inextricable du camp.

Les Indiens qu’ils rencontraient sur leur passage s’éloignaient avec des signes non équivoques d’une grande frayeur,

L’Amantzin n’était pas fâché de ce qui était arrivé, car, à part le profit qu’il avait relire de cette rencontre, l’incident qui en avait été la suite avait servi à raffermir son pouvoir aux yeux des crédules et superstitieux Indiens, qui le supposaient réellement inspiré par le Wacondah : aussi son visage rayonnait de joie.

Après un quart d’heure à peu près de marches et de contre-marches, ils arrivèrent à un toldo devant lequel était planté le totem des tribus réunies entouré de lances frangées d’écarlate et gardé par quatre guerriers.

— C’est ici, dit le sorcier à Manuela.

— Bon ! répondit la Mexicaine ; que mon père nous fasse entrer seules.

— Dois-je vous quitter ?

— Oui, mais mon père peut nous attendre au dehors.

— J’attendrai, répondit brièvement le sorcier en jetant un regard soupçonneux sur les deux femmes.

À un geste de l’Amantzin, les sentinelles placées devant le toldo livrèrent passage à celles qu’il conduisait.

Elles entrèrent le cœur palpitant ; le toldo était vide.

Elles ne purent réprimer un soupir de satisfaction ; l’absence de don Torribio leur donnait le temps de se préparer à l’entrevue que doña Hermosa désirait avoir avec lui.

L’Amantzin était demeuré debout à l’entrée du toldo ; cet homme, élevé depuis peu à cette dignité par l’influence du Chat-Tigre, était son âme damnée et lui servait d’espion.


XI

LE RENÉGAT


Don Torribio Quiroga et don José Kalbris pressaient leurs chevaux afin de sortir le plus promptement possible de l’enceinte du présidio.

Le gouverneur était heureux du secours que le commandant de la province lui envoyait.

Il ne doutait pas qu’avec les vaqueros qui lui arrivaient, il lui fût facile d’obliger les Indiens à lever le siège du présidio ; il comptait même profiter