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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Cela est possible, dit au bout d’un instant le gouverneur.

— Je le crois probable, reprit Torribio, et en ce cas nous avons encore une lieue à peu près à faire avant de les rencontrer.

— Marchons donc alors.

Ils reprirent leur marche, mais cette fois elle était silencieuse ; nos deux personnages semblaient absorbés dans de profondes méditations.

Parfois, don Torribio relevait la tête et jetait autour de lui un regard investigateur.

Tout à coup le hennissement lointain d’un cheval traversa l’espace.

— Qu’est cela ? demanda don Torribio.

— Eh ! mais, répondit le gouverneur, ce sont probablement ceux que nous cherchons.

— Qui sait ? reprit l’autre : dans tous les cas, soyons prudents.

Et après avoir fait signe au gouverneur de l’attendre à l’endroit où il se trouvait, il piqua des deux et ne tarda pas à disparaître dans l’ombre.

Dès qu’il fut loin et seul, don Torribio descendit de cheval et appliquant son oreille sur le sol, il écouta :

— Demonios ! murmura-t-il en se relevant en toute hâte et en se remettant en selle. On nous poursuit, il n’y a pas un instant à perdre ; ce bandit de don Estevan m’aurait-il reconnu ?

— Eh bien ! lui demanda le gouverneur dès que don Torribio fut de retour, que se passe-t-il ?

— Rien, répondit don Torribio d’une voix brève, rien qui doive vous intéresser.

— Alors ?…

— Alors, repartit le jeune homme en lui posant la main gauche sur le bras et avec un accent terrible : Don José Kalbris, rendez-vous, vous êtes mon prisonnier !

— Que voulez-vous dire ? répondit le vieux soldat en tressaillant ; êtes-vous fou, don Torribio ?

— Ne m’appelez plus don Torribio, señor, dit le jeune homme d’une voix sombre. Je suis maintenant un misérable sans nom et sans patrie que la soif de la vengeance a poussé parmi les Apaches.

— Trahison ! s’écria le gouverneur. A moi, soldats ! défendez votre colonel !

— Ces hommes ne vous défendront pas, don José, ils me sont dévoués ; rendez-vous, vous dis-je !

— Non, je ne me rendrai pas ! reprit résolument le gouverneur ; don Torribio ou qui que vous soyez, vous êtes un lâche !

Et, faisant faire un écart à son cheval, il se débarrassa de l’étreinte du jeune homme et mit le sabre à la main.

Le galop rapide de plusieurs chevaux se fit entendre au loin.

— Ah ! ah ! dit le gouverneur en armant un pistolet, serait-ce un secours qui m’arrive ?

— Oui, répondit don Torribio froidement, mais il viendra trop tard.

Sur son ordre les vaqueros entourèrent le gouverneur, sur lequel il se précipitèrent tous à la fois.