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LES CHASSEURS D'ABEILLES

De deux coups de pistolets don José en renversa deux.

Alors il y eut une mêlée terrible dans les ténèbres.

Don José, sachant que tout moyen de salut lui manquait, résolu à vendre chèrement sa vie, accomplissait des prodiges ; faisant cabrer son cheval à droite et à gauche, il parait les coups qui lui étaient portés et ripostait en frappant dans la masse confuse qui s’agitait autour de lui avec des hurlements sauvages.

Cependant le bruit des cavaliers qui arrivaient augmentait à chaque instant, le galop des chevaux résonnait avec un bruit semblable à celui du tonnerre.

Don Torribio vit qu’il fallait en finir, s’il ne voulait pas que sa proie lui échappât : d’un coup de pistolet il cassa la tête du cheval du gouverneur.

Don José roula sur le sol, mais se relevant vivement, il porta au renégat un coup de sabre que celui-ci para en faisant un bond de côté, et, appuyant le canon d’un pistolet sur sa tempe :

— Un homme comme moi ne se rend pas à des chiens comme vous, dit don José ; tenez, bêtes fauves, disputez-vous mon cadavre.

Et il se fit sauter la cervelle.

Au même instant plusieurs coups de feu retentirent et une troupe de cavaliers bondit comme un tourbillon sur les vaqueros.

Le major Barnum et Estevan guidaient les arrivants.

La lutte ne dura que quelques secondes. A un coup de sifflet de don Torribio, les vaqueros tournèrent bride et se mirent à fuir dans toutes les directions.

Ils eurent bientôt disparu dans les ténèbres.

Sept ou huit cadavres restèrent étendus sur le terrain.

— Que faire ? demanda le major Barnum.

— Nous sommes arrivés trop tard, répondit tristement Estevan, don José se sera fait tuer plutôt que de se laisser enlever.

— Oui, dit le major, c’était un brave soldat : mais comment rejoindre ces démons à présent, afin de savoir à quoi nous en tenir ?

— Ne nous occupons pas d’eux, major, ils sont déjà dans leur camp ; je me trompe fort, ou nous aurons bientôt le mot de l’énigme, laissez-moi faire.

Le mayordomo mit pied à terre et coupa avec son machete une branche de ces pins résineux qui croissent si abondamment dans ce pays ; il alluma du feu, et au bout de quelques minutes il eut une torche.

Alors à la lueur de la flamme rougeâtre et incertaine, il commença, suivi du major, à examiner les corps étendus sans vie sur la terre.

Leur recherche ne fut pas longue. Le gouverneur gisait, le crâne horriblement fracassé ; il tenait encore à la main l’arme fatale ; son visage avait conservé une expression de défi hautain et de courage indomptable.

— Le voilà ! dit don Estevan.

Le major ne put retenir une larme qui coula silencieusement sur son visage hâlé.